"Pourquoi suis-je vivant et pas eux?" Quarante ans après la nuit où sa famille a été massacrée, c'est une question que Jean-Yves Labrousse se pose toujours. Le 6 octobre 1983, alors qu'il n'était âgé que de 15 ans, l'ex-petit copain de sa grande sœur a tué ses parents, son petit frère Fabrice, 13 ans, sa grande sœur Caroline, 18 ans et ses grands-parents. Si lui a réussi à s'en sortir in extremis, il reste encore très marqué par cette tragédie.
Dans le livre L'Écho des ombres, qu'il a coécrit avec sa fille Camille et la journaliste Constance Bostoen, il se confie pour la première fois sur les étapes qui ont marqué sa reconstruction après cette tragédie.
Entouré et pourtant si seul
Après avoir été confronté au corps de sa mère en train de brûler, à celui de son petit frère gisant sur le sol et à ceux de ses grands-parents, le réveil à l'hôpital de Jean-Yves est brutal. Au départ, il ne réalise pas et pense que la nuit d'horreur qu'il vient de vivre n'était qu'un cauchemar.
Mais au fil du temps, et ne voyant plus ses parents, il comprend que tout ce qu'il a vécu était bien réel. Malgré le fait que sa grand-mère et le reste de sa famille se relaient pour venir le voir à l'hôpital, cela n'enlève rien à la peine qui commence doucement à l'envahir.
"Je suis constamment entouré, pourtant, je me sens terriblement seul", se souvient-il.
Au moment où il prend pleinement conscience de ce qu'il a vécu cette nuit-là, l'angoisse commence à l'envahir, pour ne bientôt plus le quitter. Il se met notamment à avoir peur du noir. "Il m'est difficile de supporter l'obscurité, car les cauchemars sont violents". L'objet de sa plus grande crainte est que le meurtrier de sa famille, Pascal Dolique, sorte de prison pour "finir ce qu'il a commencé".
Si les mois passent, d'autres questions arrivent et commencent à s'accumuler. Cela va de sa succession, à la maison qui a été placée sous scellés ("Qui va la nettoyer?"), en passant par sa mise sous tutelle, lui qui est encore mineur, et au choix de l'avocat qui le défendra au cours du procès de Pascal Dolique. Des questions qu'il a du mal à gérer du haut de ses 15 ans, envahi par le chagrin.
Les cauchemars restent
Après la période immédiate du deuil, la vie doit reprendre son cours. Mais pour Jean-Yves, à l'époque, pas question de se faire suivre par un psychiatre. Il dit ne pas vouloir endosser alors le rôle de victime.
"Je m'en voudrai plus tard, mais pour l'instant, tout le monde me félicite pour ma force", se souvient-il.
Car malgré tous ses efforts pour vivre normalement, ses cauchemars restent: "La nuit, je rêve encore de les retrouver quelque part au cœur de la maison". Si la maison reste l'unique rempart contre l'oubli de sa vie d'avant, elle réveille également de douloureux souvenirs. Pourtant, le temps est venu de gérer cette demeure après la levée des scellés.
Au moment de rentrer à l'intérieur pour la première fois depuis le drame, certains stigmates ont l'effet d'une bombe dans sa mémoire. "Tout me semble si présent", confie-t-il.
"Le sol reste noirci là où j'ai vu (ma mère) pour la dernière fois".
"Je flippe jour et nuit"
Durant plus de cinq ans, Jean-Yves va devoir se battre avec ses vieux démons pour avancer et se reconstruire. Mais cela ne sera pas possible tant que le procès du meurtrier de ses proches n'aura pas eu lieu. S'il attend ce moment avec impatience, il fait également remonter toutes ses angoisses.
"Pendant six mois avant le procès, je flippe jour et nuit à l'idée de le rencontrer", explique-t-il. La veille, il confie s'être rendu chez son médecin pour se faire prescrire des somnifères, car les cauchemars sont revenus de plus belle.
Le procès de Pascal Dolique, qui s'est ouvert le 6 juin 1989 devant les assises de l'Oise, signe le dernier acte de cette affaire qui a traumatisé sa vie. Après ça, il souhaite se construire sa propre famille et ne plus jamais parler de cette histoire.
Après s'être marié, Jean-Yves a eu deux filles, Camille et Carlotta. À elles, il raconte qu'il a perdu ses proches dans un accident de voiture. Mais son passé va finir par le rattraper quand, en 2005, il reçoit une lettre lui indiquant: "Pascal Dolique est libre". Le meurtrier de sa famille vient de terminer de purger sa peine et est désormais libre. Cette seule phrase va réveiller ses vieux cauchemars.
"Il peut être n'importe où"
Dès le moment où il reçoit cette lettre, Jean-Yves Labrousse décide de reprendre rendez-vous chez son médecin pour se faire prescrire des médicaments pour dormir.
"L'angoisse se diffuse dans mon esprit".
"Il peut être n'importe où", et c'est bien ce qui l'inquiète. Sa priorité est de protéger ses filles pour qu'elles ne soient jamais confrontées à Pascal Dolique. Alors, avec sa femme, ils décident de s'organiser du mieux possible pour qu'elles ne se retrouvent jamais seules. S'il ne veut pas que la panique envahisse son quotidien, il avoue qu'une "batte de baseball est dissimulée sous le lit conjugal", car finalement, "on ne sait jamais".
Mais à force de vouloir chasser ses vieux démons, ceux-ci lui sont revenus de plein fouet. "Ce rôle de survivant m'a permis de me dépasser jusqu'à ce que la fissure en moi ne soit plus dissimulable", explique-t-il. Pour enfin réussir à vivre avec son passé, il a décidé d'aller voir un psychiatre et de tout raconter à sa fille, dans des conversations qui sont retranscrites dans ce livre.
Le livre L'Écho des ombres de Jean-Yves Labrousse, Camille Labrousse et Constance Bostoen est disponible aux éditions Mareuil.