Déclarée morte par erreur, la galère pour revenir officiellement parmi les vivants

Depuis 2016, Jeanne Pouchain se bat pour montrer qu'elle est bien vivante - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP
"Invisible", c'est ainsi que se décrit Jeanne Pouchain. Aux yeux de l'administration française, cette femme est décédée depuis 5 ans. Pourtant, elle est bien vivante. C'est lors d'une procédure judiciaire que sa vie bascule. Elle apprend qu'un avocat aurait affirmé qu'elle était morte. La justice statue en ce sens, sans pourtant avoir un acte de décès. Ce jour-là, cette dernière ne pouvait pas le contester, car elle n'était pas conviée à l'audience.
Depuis ce jour, cela a été une longue et difficile procédure pour revenir parmi les vivants, aux yeux des administrations. Jusqu'en février 2022, ou après plus de cinq ans de combat, elle retrouve la possibilité d'avoir une pièce d'identité, selon Le Progrès.
L'histoire commence dans les années 2000. Jeanne Pouchain détient une entreprise de nettoyage et une de ses employées doit être transférée dans une nouvelle société. Mais cela ne peut se faire car il ne s'agit pas du même secteur professionnel dans lequel travaillait cette femme. Une procédure est engagée au bureau de conciliation et d'orientation (BCO) du Conseil de prud'hommes à l'encontre de la société de Jeanne Pouchain.
La décision de justice tombe: une somme d'argent doit être versée à son ex-salariée. Mais pour des raisons de procédure, elle ne perçoit pas cette somme. Puis, le dossier traîne en longueur. Jeanne Pouchain ne reçoit pas les convocations du tribunal. Son absence joue en sa défaveur lors des audiences. Le dossier avance, mais sans elle. En 2014, cette dernière ferme son entreprise de nettoyage et se consacre à une nouvelle activité.
Dépossédée de son identité
Victime d'un cambriolage à son domicile le 25 décembre 2015, Jeanne Pouchain remarque qu'on lui a volé sa pièce d'identité, son téléphone, mais aussi sa tablette. Naturellement, elle fait les démarches nécessaires pour avoir de nouveaux papiers. Mais sa demande de carte d'identité est rejetée, car elle "n'existe pas dans le système". Aucune raison n'est avancée pour expliquer la situation.
Puis, un problème survient avec son compte bancaire professionnel, aucun chèque ne peut y être déposé: rapidement, elle est dans le rouge. La sexagénaire se rend à son établissement bancaire pour comprendre ce qui se passe. Son conseiller lui explique qu'elle n'existe pas dans la base de données. Jeanne Pouchain continue de faire ses demandes pour ses papiers d'identité, bien qu'elles sont toutes refusées.
En novembre 2017, des huissiers se présentent à son domicile. lls remettent un courrier à son mari l'informant du décès de sa femme. Déboussolé, le couple ne sait pas comment cela a pu arriver. Jeanne Pouchain fait finalement le lien avec l'ancien litige aux prud'hommes qui l'opposait à son ex-salariée.
Lors d'une audience, l'avocat de cette dernière aurait affirmé que Jeanne Pouchain était morte en février 2016. Elle n'était pas présente à l'audience pour prouver le contraire. Ce qui l'a révolte le plus dans tout ça, c'est qu'aucun avis de décès n'a été donné pour justifier cette décision. C'est le début de la descente aux enfers.
"Lorsque j'ai appris la nouvelle, je me suis effondrée. J'ai pris 90kg et même aujourd'hui, je ne connais toujours pas la date de mon décès."
Un combat quotidien pour prouver qu'elle est bien vivante
Pour ne pas tomber dans l'oubli, la sexagénaire envoie des lettres pour raconter son histoire. D'abord à la préfète, puis au garde des Sceaux, mais aussi au président de la République... sans jamais obtenir une réponse concrète à sa situation.
Les problèmes s'accumulent au quotidien. Jeanne Pouchain rencontre des problèmes de santé, mais sans carte vitale ni mutuelle, difficile de se faire soigner. Un médecin accepte tout de même de faire passer les médicaments sous le nom de son mari.
Cette situation devient insupportable pour la sexagénaire. Elle assure avoir l'impression d'être devenue "une invisible" aux yeux de la société: "Je suis vivante sans l'être, car je n'ai aucun droit des vivants. Je suis une morte-vivante."
Une lueur d'espoir
Après avoir remué ciel et terre, la situation se décante progressivement en janvier 2022. Elle obtient enfin une nouvelle pièce d'identité. Pour elle, c'est une résurrection.
"J'ai pu aller faire ma carte électorale pour aller voter et remettre en route mon permis de conduire."
Une plainte a été déposée en 2021, et l'enquête est toujours en cours. Jeanne Pouchain doit encore s'armer de patience pour venir à bout de toutes ses démarches.