Le procès de Monique Olivier, premier accomplissement pour le pôle "cold cases" de Nanterre

Monique Olivier et la juge Sabine Kheris, non loin d'Issancourt-et-Rumel, le 31 août 2021 - FRANCOIS NASCIMBENI © 2019 AFP
C'est un procès pour l'Histoire qui doit s'ouvrir mardi à la cour d'assises de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine. Historique parce que Monique Olivier sera pour la première fois jugée sans Michel Fourniret, son ex-époux qu'elle a aidé à commettre des crimes en série sur plusieurs décennies. Historique aussi parce qu'il marque un premier accomplissement pour les membres du Pôle national dédié aux crimes sériels et non élucidés (PCSNE).
Déjà condamnée en 2008 et en 2018 pour sa participation dans six affaires, la septuagénaire va cette fois-ci devoir répondre seule, jusqu'au 15 décembre prochain, de son rôle dans les dossiers Estelle Mouzin, Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish.
Et si les aveux du couple quant à ces meurtres sont antérieurs à la création du pôle cold cases, ce procès est bel et bien considéré comme le premier à être organisé sous l'égide des magistrats spécialisés qui le constituent.
De l'affaire Mouzin au "pôle Estelle"
Car l'histoire de la disparition d'Estelle Mouzin en 2003 et celle de la création du PCSNE en mars 2022 sont inextricablement liées: le fait divers et l'enquête émaillée de ratés qui en a découlé ont largement contribué à donner naissance au pôle de Nanterre.
À tel point que certains le surnomment encore aujourd'hui le "pôle Estelle", souffle Me Didier Seban auprès de RMC Crime.
"Le pôle est né des échecs qui ont eu lieu dans cette affaire. L'enquête a tellement été ratée qu'il est apparu comme une évidence qu'il fallait faire quelque chose", explique encore l'avocat du père d'Estelle Mouzin.
En effet, malgré les soupçons rapidement exprimés par les enquêteurs belges qui ont arrêté Michel Fourniret en juin 2003 et l'intuition des avocats de la famille Mouzin, le tueur en série ne sera pas immédiatement envisagé comme suspect dans l'enlèvement de la petite fille de 9 ans à Guermantes. "Michel Fourniret est longtemps passé sous les radars, avant d'être considéré comme un coupable potentiel", résumait lors d'une conférence de presse début octobre Eric Mouzin, le père de la fillette.
Après une perte de temps considérable, c'est la juge d'instruction Sabine Khéris qui, reprenant les rênes du dossier, parviendra à soutirer des aveux à l'"ogre des Ardennes", 17 ans après le début des investigations. "Je reconnais là un être qui n'est plus là par ma faute", finira-t-il par admettre laconiquement, en mars 2020.
Des enquêteurs spécialisés
Après cette victoire, un immense sentiment de débâcle perdure. Ces 17 années de fausses pistes et de "silence judiciaire", selon les mots de Didier Seban, auront tôt fait d'estomper l'espoir de retrouver un jour le corps d'Estelle, surtout depuis le décès du tueur, en 2021.
C'est ce constat dramatique qui a poussé la juge Sabine Khéris et l'ex-procureur Jacques Dallest à réfléchir, conjointement, à la création d'un pôle dédié aux affaires irrésolues et aux parcours des tueurs en série. Immédiatement, le projet porte en germe l'idée de réunir une équipe qui travaillerait exclusivement sur ces dossiers souvent oubliés des commissariats et gendarmeries au profit des affaires du quotidien, à traiter en priorité.
Depuis maintenant plus d'un an et demi, trois juges d'instruction se consacrent donc à temps plein à cette tache. Ils posent un regard neuf sur 99 dossiers qu'ils ont sélectionnés, sur les 270 affaires non résolues qu'ils ont identifiées.
En effet, depuis sa création, le pôle peut se targuer de plusieurs avancées notables sur des dossiers qui commençaient à s'enliser. À titre d'illustration, on retiendra l'arrestation en octobre 2022 de Dominique P., principal suspect des "violeurs de Mazan", également soupçonné d'être impliqué dans deux autres affaires: le viol et le meurtre d'une jeune femme à Paris en 1991, et la tentative de viol d'une autre femme en 1999 à Villeparisis.
Autre progrès marquant: l'ex-compagnon de Khadidja Bengrine, dont la disparition restait jusqu'ici inexpliquée, a été mis en examen pour "séquestration suivie de mort" en juin dernier.
Accueillir et écouter les familles de victimes
Le deuxième point sur lequel le pôle avait pour ambition de mettre l'accent, c'est l'écoute apportée à des familles de victimes souvent peu habituées à des magistrats qui prennent le temps de faire le point avec elles sur les dossiers. "Ils ont une autre manière de voir les choses et de recevoir les familles des victimes", salue Didier Seban.
"Le fait qu'elles se sentent écoutées et associées est un point très positif", commente de son côté Jacques Dallest, l'un des initiateurs du projet de pôle, contacté par RMC Crime. "C'est justement ce qui manque dans les tribunaux classiques."
Une écoute bienveillante et une volonté de faire avancer les dossiers, c'est ce qu'Adeline Morin souligne lorsqu'on l'interroge au sujet des magistrats du pôle de Nanterre. Le dossier de la disparition de son frère, Jean-Christophe Morin, en 2011, dans le cadre de l'affaire des "disparus du Fort de Tamié", a été repris par le PCSNE au début de l'année, après plusieurs mois de lutte pour que le parquet de Chambéry accepte de s'en dessaisir.
"Quand ce service spécialisé (le PCSNE, ndlr) nous a dit que notre dossier était légitime, ça a créé beaucoup d'espoir", nous raconte Adeline Morin, qui salue le travail et la communication de Sabine Khéris. "Elle impulse quelque chose."
"Une forme d'humanité"
Jean-Christophe Morin a disparu lors d'un festival de musique électronique en Isère il y a maintenant plus de 12 ans. L'année d'après, lors du même événement, c'est un autre homme, Ahmed Hamadou, qui se volatilisait dans des circonstances suspectes. De quoi pousser les enquêteurs à investiguer sur les deux dossiers en parallèle.
Pourtant, malgré d'étranges similarités entre les deux affaires et une tentative de rapprochement avec Nordahl Lelandais, Adeline Morin raconte s'être heurtée à de nombreux murs avant que le dossier soit repris en main, en début d'année. En cause: des magistrats débordés qui ne font pas des affaires laissées sans réponse depuis des années leur priorité, faute de temps mais aussi d'envie.
"En six mois, Sabine Khéris a fait plus que tous les autres juges d'instruction en trois ou quatre ans. Il y a une forme d'humanité que l'on n'a pas trouvée ailleurs."
En juin dernier, les enquêteurs du pôle ont organisé de nouvelles fouilles dans le secteur du Fort de Tamié, qui se sont conclues par la découverte d'ossements appartenant à Ahmed Hamadou. Pourtant, si elle s'en réjouit, Adeline Morin déclare porter un regard lucide sur la situation et préfère ne pas crier victoire trop rapidement. "Mon angoisse, c'est qu'on me dise, dans un an, qu'un non-lieu va être rendu. Qu'on a fait tout ce qu'on a pu", explique-t-elle.
C'est une possibilité que les familles doivent en effet prendre en compte, selon Jacques Dallest, qui souligne déjà un manque de personnel au sein du pôle. "Ils vont arriver au seuil critique du nombre de dossiers limite par juge d'instruction, c'est un vrai sujet. Des dossiers entrent au pôle et très peu en sortent", commente encore Jacques Dallest. Une idée sur laquelle s'aligne Didier Seban: "C'est une avancée, mais le combat n'est pas terminé."