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Affaires françaises

"Des années de silence judiciaire": l'affaire Estelle Mouzin a 20 ans

Le 9 janvier 2003, la petite Estelle Mouzin disparaissait en sortant de l'école à Guermantes, en Seine-et-Marne. Se sont ensuivies des années d'investigations infructueuses.

"Michel Fourniret ne sera pas jugé pour ces faits. Ce sont des errements graves, un échec faramineux de la justice française." C'est un dossier dont Didier Seban connaît les moindres recoins, tant il a bataillé avec sa consoeur Corinne Herrmann pour ne pas le voir refermé. Pour les deux avocats, vingt ans après la disparition de la fillette à Guermantes et malgré les aveux du tueur en série, restent un goût d'inachevé et le regret d'une enquête inégale.

"Ce sont des années de silence judiciaire. Les erreurs dans l’affaire commencent dès l’arrestation de Michel Fourniret", commente Me Didier Seban auprès de RMC Crime.

Un mode opératoire similaire

C'est d'abord une intuition de l'avocat qui le met sur la piste de celui qu'on surnommera "l'ogre des Ardennes". Le 26 juin 2003, avec déjà de nombreux rapts à son actif, Michel Fourniret finit par être interpellé en Belgique après la tentative d'enlèvement de la petite Marie-Ascension, 13 ans, qui parvient à s'échapper.

À cette époque, le mode opératoire du criminel met la puce à l'oreille de Didier Seban et Corinne Herrmann, qui ont entendu parler de la disparition d'Estelle Mouzin. La petite fille de 9 ans s'est volatilisée le 9 janvier 2003 à la sortie de son école à Guermantes, en Seine-et-Marne, et n'a depuis plus donné signe de vie.

"Les faits sont très proches de ceux qui sont arrivés à la petite Elisabeth Brichet, enlevée au sortir d’une boulangerie, des faits pour lesquels il est passé aux aveux", rappelle Didier Seban, qui s'est par la suite saisi du dossier.

L'alibi du coup de fil

Mais vient déjà un premier obstacle: l'enlèvement d'Elisabeth Brichet s'est déroulé en Belgique, et parmi tous les faits reprochés à Michel Fourniret, aucun n'a pour cadre Guermantes et ses environs. Rien n'indique donc à ce moment-là que le tueur en série s'est déjà rendu en Seine-et-Marne.

"Quand ils le remettent à la France [en 2006, ndlr], les enquêteurs belges disent qu’ils pensent que c’est lui, dans l’affaire Mouzin. Mais les policiers de Versailles ne prendront jamais cette piste très au sérieux. Ils diront même qu’ils sont persuadés à 99% que ce n’est pas Michel Fourniret", relate l'avocat.

Si les enquêteurs versaillais ne se mobilisent pas sur cette piste, c'est que Michel Fourniret leur livre un alibi qui semble d'abord irréfutable: ce dernier déclare avoir appelé son fils, dont c'était l'anniversaire, le jour de la disparition d'Estelle Mouzin. Après vérifications, son téléphone borne bien à Sart-Custinne en Belgique au moment indiqué par le meurtrier, ce qui l'écarte d'emblée des suspicions de la police française.

"Qu'est-ce qu'il aurait fait là, loin des Ardennes?"

Le duo Seban-Herrmann commence par ailleurs à faire le lien avec deux autres affaires non élucidées dans l'Yonne: la disparition de Marie-Angèle Domece en 1988 et le meurtre de Joanna Parrish en 1990. Malgré l'insistance des avocats, ces trois affaires ne seront pas jugées lors du procès de Michel Fourniret et Monique Olivier à Charleville-Mézière en 2008.

Aux côtés du père d'Estelle, Eric Mouzin, les avocats ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour faire remonter au parquet des éléments qui pourraient incriminer Michel Fourniret. À commencer par le fait que ce dernier aurait très bien pu se trouver en Seine-et-Marne le 9 janvier 2003, puisqu'il a à ce moment-là il a une permission - il pugreait une autre peine à l'époque - et qu'il en profite pour se rendre chez sa fille, dans un village non loin de Guermantes.

"Mais les policiers de Versailles refusent de le réinterroger. Ils se disaient 'qu'est-ce qu'il aurait fait là, loin des Ardennes?", détaille Didier Seban.

Des témoignages non entendus

À cela s'ajoute le témoignage d'une personne ayant vu Michel Fourniret dans une station-service près de Guermantes, quelques jours avant la disparition d'Estelle. "Or, on sait qu’il part à la chasse de ses victimes mais ne les attrape pas immédiatement. Il va les repérer, puis il y retourne."

Pourtant, rien n'y fait, les enquêteurs de Versailles rechignent à creuser de ce côté. Même lorsqu'une codétenue de Monique Olivier affirme avoir obtenu des aveux de celle-ci à propos d'Estelle Mouzin. "La justice va mettre des mois à la confronter à Monique Olivier, qui va dire qu’elle ne connaît pas cette femme", poursuit l'avocat.

Quant à l'alibi du tueur, "il ne tenait pas une seconde", rétorque Didier Seban. "Ni son fils, ni sa belle-fille ont réellement indiqué avoir eu Michel Fourniret au téléphone. Ils n’avaient plus de contact avec lui." Monique Olivier avouera d'ailleurs finalement avoir passé cet appel depuis la Belgique sur demande de son mari pour lui fournir un alibi.

Travailler sur la "sérialité" des tueurs

Pendant plus de 15 ans, d'autres pistes vont alors être explorées, comme celle de deux Polonais que la mère d'Estelle avait hébergés juste avant la disparition, ou celle d'un marginal, racontait Jean-Marc Bloch, ancien commissaire à la PJ de Versailles, auprès du Parisien en 2019. Au total, 75 personnes déjà condamnées pour agression sexuelle ou enlèvement de mineur sont auditionnées, en vain. Même Nordahl Lelandais est suspecté un temps, avant qu'il ne soit établi qu'il se trouvait en Guyane au moment des faits.

Selon Didier Seban, deux facteurs principaux expliquent l'énorme retard pris par la justice pour identifier le meurtrier d'Estelle Mouzin pendant toutes ces années. D'abord, à l'époque, il y a un manque cruel de travail sur la "sérialité" des meurtriers en France, les enquêteurs étant persuadés qu'il ne s'agit que d'un concept américain sans pareille mesure.

"On ne sait pas travailler sur les tueurs en série parce qu’on ne met pas en perspective leur parcours", précise l'avocat.

Autre manquement majeur - que le pôle "cold case" de Nanterre, créé l'an dernier pour résoudre des affaires non élucidées, a pour but de résorber - les différents parquets ne recoupent pas assez leurs dossiers, ralentissant l'identification d'un criminel qui aurait commis des faits dans divers départements.

La perspective rassurante du procès de Monique Olivier

Il faudra donc attendre l'arrivée de la juge Sabine Khéris et son acharnement sur le dossier pour tirer des aveux, d'abord à Monique Olivier, qui finit par démentir l'alibi du coup de fil, puis à Michel Fourniret.

"Je reconnais là un être qui n'est plus là par ma faute", finira-t-il par admettre, en mars 2020.

En août, une trace partielle d'ADN d'Estelle Mouzin est retrouvée sur un matelas dans l'une des résidences du couple. Mais Michel Fourniret s'éteint avant même d'avoir pu répondre de ses actes devant un tribunal, en mai 2021.

En revanche, le procès de Monique Olivier devrait, lui, se tenir en novembre prochain. "Ce sera une manière de clore l’affaire que de la juger. Ça ne ramènera pas Estelle, ni son corps, mais ça permettra de dire quels sont les auteurs des faits et de parler de ces dysfonctionnements", estime Didier Seban, qui a déposé avec son client une plainte pour faute grave contre l'Etat en 2018.

"On avait tous les éléments pour confondre Michel Fourniret et Monique Olivier, mais on n'a pas mis les moyens pour le faire."

Dernier hommage

"Dans ce dossier, le temps avait déjà fait trop de dégâts. Tout le temps perdu, la confusion dans les esprits de ce couple de criminels, l'environnement qui s'est transformé pour les fouilles, tous les éléments étaient réunis pour que l'échec soit là", regrette aujourd'hui auprès de La Marne Eric Mouzin.

Si la perspective de ne jamais retrouver le corps de sa fille est dure à supporter, il se console avec l'idée que le combat qu'il a mené aux côtés de ses avocats a permis de faire évoluer les techniques d'enquête et a grandement contribué à la création du pôle "cold case". "D'autres familles n'auront peut-être pas à subir ces années à vivre avec des questions."

Samedi, l'association qu'Eric Mouzin a cofondée pour appuyer les recherches a organisé une dernière marche blanche à Guermantes. Un ultime hommage pour la petite fille au pull rouge qui s'est évaporée dans la neige un soir de janvier.

Elisa Fernandez