Emprisonné à tort, Bruno nous raconte son calvaire

Me Sylvain Cormier est l'un des avocats de Bruno - JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
"La lumière s’éteint et c'est le vide total". Pour Bruno*, c'est le choc, la sidération. Quand il est condamné dans un premier temps à 20 ans de prison, il ne comprend pas. Avant d'être acquitté en appel, mais d'être brisé par plusieurs mois passés en prison, et dix ans de combat judiciaire.
Les deux années passées derrière les barreaux hantent encore Bruno aujourd'hui. "Vous vous sentez sale, plus bas que terre. La détention, je ne la souhaite à personne", se remémore-t-il. En 2018, Bruno est condamné à 22 ans de prison, accusé d'avoir commandité le meurtre d'un de ses associés en 2010. En l'espace d'un instant, l'homme voit sa vie basculer du jour au lendemain.
Ce n'est qu'en 2022 que la justice le lave de tout soupçon, en l'acquittant lors du procès en appel. Cet épisode de sa vie a eu des conséquences irréversibles sur lui, ses proches et le regard des autres porté sur sa personne.
Au moment des faits, Bruno est responsable de plusieurs agences immobilières sur Lyon. L'homme lance ses affaires en 2004. Elles tournent bien, jusqu'à une journée de 2012. La police vient le chercher à son domicile. Lui, et un de ses amis sont placés en garde à vue. Bruno est soupçonné d'être le commanditaire du meurtre d'un de ses associés et son ami d'avoir exécuté ce meurtre deux ans plus tôt. En moins de 24 heures, ils sont incarcérés. Sa vie a été bouleversée en seulement quelques heures
Une lueur d'espoir
"Je ne comprenais plus ce qui se passait. Je me suis dit que ma vie était finie. J'allais la terminer en prison alors que je n'avais rien fait", estime-t-il. Les premiers jours, l'affaire lui apparaît d'abord comme un terrible malentendu: il est persuadé qu'il retrouvera rapidement sa liberté après son innocence démontrée.
Mais les semaines puis les mois passent et la situation ne s'améliore pas. Ce dernier passe 14 mois en détention, avant d'être placé sous contrôle judiciaire pendant 4 ans. Derrière les barreaux, l'homme doit faire alors face à la dure réalité de la prison. Du fond de sa cellule toutefois, Bruno veut garder espoir. Il est convaincu de son innoncence, mais ses forces le quittent peu à peu. Déprimé, il n'arrive plus à s'occuper l'esprit. Même lire devient difficile.
"Vous n'avez plus de moyens financiers, vos amis s’éloignent, car vous êtes condamné. Certains restent, mais des suspicions et des doutes planent toujours. Vous perdez finalement tout."
Après avoir passé 9 mois supplémentaires derrière les barreaux, ce dernier est remis en liberté sous contrôle judiciaire dans l'attente de son deuxième procès. Il se tient en 2022 et après plusieurs jours d'audience, le verdict tombe. Bruno est acquitté. Cette nouvelle sonne la fin d'un long calvaire.
Une victoire au goût amer
Aucune fête n'est organisée pour célébrer l'événement: Bruno ne le vit pas comme une victoire. Impossible de se réjouir, la prison l'a brisé. Il entend encore le bruit des verrous, le vacarme incessant dans les cellules, les lumières toujours allumées. Même s'il a été acquitté, le temps n'efface pas tout.
"Vous devez rentrer chez vous comme si de rien n'était. Il faut reconstruire, il faut avancer, il faut garder le goût à la vie, il faut faire les choses du quotidien. C'est difficile de faire semblant."
Retrouver sa vie d'avant? Il a dû y renoncer. Il doit retrouver un emploi pour gagner de l'argent, mais cela relève du parcours du combattant. Ce dernier ressent le regard pesant des autres lui, car "ils savent que vous avez fait de la prison".
Au-delà des pertes financières, son incarcération lui a aussi coûté des moments de vie et de partage avec ses proches: "J'ai perdu dix ans de ma vie. Avant, j'étais chef d'entreprise et là, je dois vivre de petits boulots. J'ai aussi raté des repas, toute ma vie de famille et ça, jamais on ne pourra me le rendre. Tout ce que l'on peut faire, c'est vivre avec et avancer."
Aucune somme d'argent ne pourra lui rendre ses années perdues
Toutes ses économies sont passées dans les procès. Alors avec son avocat, un dossier a été déposé devant la commission d'indemnisation. Mais pourtant, seuls les frais dépensés lorsqu'il était en prison peuvent être pris en compte. Avant d'obtenir une réponse, ce dernier doit encore s'armer de patience, car l'attente s'annonce longue. Même s'il obtient un dédommagement, pour lui, rien ne pourra réparer ce qu'il a subi durant toutes ces années.
"J’ai perdu ma grand-mère d'un cancer. Je n'ai pas pu aller la voir à son chevet, ni même aller à son enterrement. Vous pensez réellement que l’on peut me donner un prix pour réparer ça? Jamais."
Malgré tout, Bruno tente de se reconstruire auprès de ses proches et de laisser tant bien que mal son passé derrière lui.
*le prénom a été changé