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En Guyane, l'inquiétante contagion des gangs ultraviolents brésiliens

La gendarmerie en Guyane.

La gendarmerie en Guyane. - jody amiet / AFP

En Guyane, des dizaines de jeunes sans emploi ni avenir sont devenus les proies faciles des mafias.

"A 10 ans il fumait, sa mère était prostituée. A 20 ans c'était un tueur." Brossé par le procureur général de Cayenne Joël Sollier, le portrait de ce gamin né sur un site d'orpaillage illégal guyanais et devenu le porte-flingue d'un gang fait froid dans le dos. On lui a dit d'abattre un type", poursuit le magistrat. "Alors sans vraiment savoir qui c'était, il s'est avancé avec un fusil à pompe et l'a abattu..."

Aujourd'hui sous les verrous, ce garçon faisait partie d'un de ces groupes criminels hyper violents venus du Brésil voisin, dont les activités en pleine expansion dans le territoire français d'Amérique du Sud ne cessent d'inquiéter les autorités.

Comme lui, des dizaines de jeunes sans emploi ni avenir sont devenus les proies faciles de ces mafias, qui les recrutent à grandes promesses d'argent facile dans les prisons et bidonvilles de Guyane.

Deux principaux groupes s'affrontent

Comme dans celui de "Buraco", où les gendarmes patrouillent dans cet entrelacs de baraques de tôles sur pilotis de la banlieue de Cayenne, connu pour être l'une des bases logistiques des orpailleurs illégaux qui écument la forêt amazonienne.

Les hommes du Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig) de Matoury sillonnent ce dédale tous les soirs. Au fil de leurs visites, ils y croisent des femmes qui préparent des colis pour les camps d'orpaillage, des hommes malades après des semaines de labeur dans la forêt et des "factionnaires" venus s'y "mettre au vert".

A en croire les autorités, deux groupes de ces bandits prêts à tout tiennent le haut du pavé guyanais: le Comando Vermelho et la Familia Terror do Amapà (FTA), originaire de l'Etat éponyme situé sur la rive brésilienne du fleuve Oyapock, au sud de la Guyane. Sa capitale Macapa affiche le taux d'homicide le plus élevé du Brésil: 63,2 pour 100.000 habitants contre 16,7 en Guyane et 1,3 en moyenne en France.

Ces groupes sont impliqués dans toutes sortes d'activités: vols, trafics d'armes ou de drogues et, bien sûr, l'orpaillage illégal qui leur a servi de porte d'entrée sur le sol guyanais en 2017.

Des méthodes ultraviolentes

"Ils empiètent sur le territoire français", confirme Hélio Furtado, procureur au département de la Justice de l'Etat d'Amapá. "Ils chassent les orpailleurs clandestins qui étaient déjà là, qui n'ont aucun lien avec le crime organisé, et prennent le contrôle de la zone en exploitant les sites pour financer leurs organisations".

Au Brésil, FTA est connue pour ses méthodes ultraviolentes, y compris entre ses membres. "C'est une menace pour la Guyane française", appuie le commissaire Bruno Almeida, de la police civile d'Amapá. "Ils sont hors-la-loi. Ils ne reculent devant rien."

Les "factionnaires" n'ont pas tardé à faire main basse sur la criminalité guyanaise, en imposant leurs méthodes. "Ils s'intéressent surtout à l'or, à l'argent et aux armes. Ils ont pris le contrôle des gangs. On a une série de vols avec violences à domicile, des gens ligotés", souligne une source proche du dossier.

"Ce sont presque des kamikazes. Ils n'ont aucune limite", se désole le procureur général Sollier. "Ils sont capables d'abattre des gens pour un oui ou pour non."

Renforts policiers

En 2022, une cinquantaine d'homicides ont été recensés en Guyane. "Une bonne partie est imputable à ces factions criminelles", décrit le magistrat, qui évoque des "exécutions". L'avocate cayennaise Saphia Benhamida évoque aussi "des règlements de compte en plein jour". "On est monté en grade", déplore-t-elle.

Les autorités françaises ont pris la mesure de la menace. En septembre, le gouvernement a annoncé l'envoi de renforts spécialisés - gendarmes et magistrats - après une série d'homicides survenue pendant l'été.

Début février, au terme de plus d'un an d'enquête, un vaste coup de filet mobilisant 200 gendarmes a permis d'interpeller 14 personnes impliquées dans une organisation polycriminelle franco-brésilienne suspectées d'avoir préparé des vols à main armée.

Leur appartenance ne fait guère de doute: de nombreuses inscriptions "FTA" à la peinture jaune ont été repérées sur les murs et des véhicules là où certains d'entre eux ont été interpellés, sur l'île de Cayenne.

Tout comme les narcotrafiquants, ceux qui les dirigent profitent de la grande précarité du territoire pour recruter. "La Guyane et le Brésil sont très proches. Avec des bateaux rapides, ils peuvent être ici un jour et là-bas le lendemain", observe le commissaire brésilien Bruno Almeida.

Par I.V. avec AFP