RMC Crime
Affaires françaises

"Il fallait que je sauve ma peau": l'unique survivant d'une tuerie familiale raconte la nuit où sa vie a basculé

Jean-Yves Labrousse a vu toute sa famille se faire tuer sous ses yeux quand il avait 15 ans. Pour la première fois, il se confie sur cette nuit où sa vie a basculé dans l'horreur, dans le livre L'Écho des ombres.

Il a longtemps cru à un cauchemar. Âgé de la cinquantaine, Jean-Yves Labrousse a décidé de se confier pour la première fois sur la nuit où six membres de sa famille ont été massacrés sous ses yeux, quand il n'avait que 15 ans. Au cours d'entretiens intimes avec sa fille Camille et son amie, la journaliste Constance Bostoen, il a accepté de revivre une nouvelle fois le jour où il a perdu ses parents, son frère, sa sœur et ses grands-parents.

"Nous avons choisi de refuser l'oubli et le silence", confie sa fille, qui a co-écrit le livre L'Écho des ombres, aux éditions Mareuil. Longtemps plongé dans un mutisme pour ne pas traumatiser sa fille, Jean-Yves Labrousse lui avait fait croire que sa famille était morte dans un accident de voiture. Mais pour ne plus laisser la place aux affabulations, il a décidé de lui raconter l'histoire de sa famille, son histoire. "Ce sera comme un héritage", lui a-t-il dit.

Hachis parmentier empoisonné

Octobre 1983, à Saint-Martin-le-Nœud (Oise), en fin de journée, Jean-Yves rentre chez lui pour retrouver ses parents, Jean-Jacques et Francine, sa grande sœur Caroline, 18 ans, et son petit frère Fabrice, 13 ans. Depuis quelques semaines, Caroline a rompu avec son petit copain, Pascal, un apprenti-charcutier. Il est donc étonné de le voir chez lui, ce soir-là.

Le jeune homme explique qu'il a préparé le repas, un hachis parmentier, car après tout, il vivait pratiquement chez eux quand il sortait avec Caroline. Pascal met le plat au four mais ne reste pas, car il a un impératif. Mais le repas vire rapidement au drame.

Après avoir mangé le hachis parmentier, le père de Jean-Yves est pris d'un malaise. Prise de panique, sa mère décide d'appeler ses parents pour qu'ils lui viennent en aide. Après ça, c'est le trou noir. Jean-Yves se réveille au fond de son lit, dans un état comateux.

"Très vite, mon estomac se tord et je comprends que quelque chose d'anormal est en train de se produire", se souvient-il.

L'adolescent n'a pas le temps de se concentrer sur son état, qu'il entend des cris provenant du premier étage. Malgré la douleur, il décide de se lever pour aller voir ce qu'il se passe.

"Mon esprit se désolidarise de mon corps"

Titubant dans le couloir de sa maison, il lutte pour rester conscient et éveillé. "C'est alors qu'une douleur aigüe me transperce. Un objet brillant est passé devant mon champ de vision. Un couteau. La lame fait au moins 15 centimètres et vient se figer une seconde fois dans mon bas-ventre". Si la douleur est insoutenable, Jean-Yves se force à se concentrer sur son objectif: survivre.

"Il faut que je parte, que je sauve ma peau (...) Tant pis pour la douleur", écrit-il dans le livre. Mais l'horreur ne va pas s'arrêter là.

Il entend le meurtrier hurler son prénom dans la maison. Puis, c'est au tour de la voix de sa sœur Caroline de résonner. Elle implore l'assassin de l'épargner, elle et son petit frère Fabrice. Puis, plus rien. Jean-Yves tombe inconscient, ne supportant plus la douleur de ses blessures.

C'est finalement une épaisse fumée qui vient le réveiller. Il n'a plus qu'une idée en tête, trouver la force de se lever pour s'enfuir de la maison.

"Le choc est tel que mon esprit se désolidarise de mon corps".

Dans un élan de courage, il maintient ses viscères avec sa main et escalade son portail pour alerter ses grands-parents qui vivent à quelques pas de là. Mais sur le chemin, nouveau choc. Les corps de sa grand-mère et de son grand-père, lardés d'une dizaine de coups de couteau, sont étendus sur le sol.

En puisant dans ses dernières forces, il réussit à atteindre le domicile de son oncle dans l'espoir qu'il puisse mettre un terme à cet enfer. Et en se rapprochant de lui, il reconnaît une voix qui lui glace immédiatement le sang: celle qui hurlait son prénom dans la maison. Il comprend alors que son oncle parle avec le meurtrier de sa famille et entend: "Jean-Jacques est devenu fou, il les a tous tués", accusant le père de Jean-Yves d'être à l'origine de la tuerie.

"Je vais devoir vivre avec ça"

Rapidement, les secours et la police arrivent sur place et découvrent l'horreur. Une enquête est immédiatement ouverte et l'arme des crimes est retrouvée sur place. Il s'agit d'un couteau à désosser.

Après analyse, une empreinte digitale est identifiée sur le manche du couteau. Le meurtrier a également laissé sa pièce d'identité, son chéquier, et ses chaussures sur place, révélant qu'il s'agissait de Pascal.

Au petit matin, il est placé en garde à vue et interrogé. Au début, il nie les faits et affirme qu'il a, lui aussi, échappé au tueur. Mais sa version est rapidement mise à mal par le témoignage de Jean-Yves, qui confirme qu'il est bien le tueur de sa famille.

Depuis son lit d'hôpital, Jean-Yves réalise qu'il a perdu tous les siens et qu'il est l'unique survivant de cette nuit d'horreur. "Seul, je vais devoir vivre avec ça".

"Ce n'est que le premier jour du reste de ma vie".

"Elle n'avait pas le droit d'exister"

Dès le début de l'enquête, l'état de santé mentale de Pascal est au centre des interrogations. Entre 1983 et 1988, plusieurs expertises hématologiques et psychologiques de Pascal ont été pratiquées, faisant reculer la date de son procès. "Les derniers rapports semblent même conclure à l'irresponsabilité de l'inculpé", se souvient-il. "Cette possibilité me hante".

C'est finalement six ans plus tard, le 31 mai 1989, que s'ouvre le procès de Pascal Dolique devant les assises de l'Oise, à Beauvais. Pour Jean-Yves, c'est un moment crucial. "Je veux rendre justice à ma famille", criant haut et fort que "Pascal n'est pas fou".

Ce jour-là, c'est la première fois qu'il se retrouve face à lui depuis la fameuse nuit qui a bouleversé sa vie. "La seule voix de Pascal Dolique me ramène instantanément au 6 octobre 1983". Contraint de la revivre une nouvelle fois, il apprend de nombreux détails dont il n'avait jamais eu connaissance. Notamment la minutie avec laquelle il a prémédité ses actes, mais également le mobile de cette tuerie familiale.

"Après avoir compris qu'il avait perdu prise sur ma sœur, il s'est acharné à effacer toutes les personnes qui constituaient son univers. Elle n'avait pas le droit d'exister dans un monde où elle n'était pas sa copine, où elle ne lui appartenait pas", explique-t-il.

Finalement, Pascal Dolique sera reconnu responsable de ses actes, et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie de 18 ans de sûreté. Un soulagement pour Jean-Yves. "Le procès m'a donné de la force et c'est resté". La force, notamment, d'enfouir cette tragédie au plus profond de lui pendant des années pour espérer se reconstruire.

Retrouvez le livre L'Écho des ombres de Jean-Yves Labrousse, Camille Labrousse et Constance Bostoen, aux éditions Mareuil.

Alix Mancel