Psycho-criminologue: un métier entouré de frissons et de fantasmes

Des Américains près de la scène du crime à Uvalde, au Texas. - Allison Dinner
Son métier fait autant frissonner que fantasmer. Emma de Oliveira a réalisé son rêve, celui de devenir psycho-criminologue. A ne pas confondre avec le métier de profiler ou encore criminologue. Son rôle : appuyer les enquêtes policières qui piétinent et les cold case. La psycho-criminologue travaille en collaboration avec la police judiciaire locale. Quand elle est appelée sur un dossier, elle doit tout reprendre pour dresser un profil psychologique de l’auteur dans le but de comprendre son passage à l’acte.
Une fois qu’il y a des suspects, elle peut assister à l’audition pour aider l’enquêteur à trouver la stratégie appropriée à ce type de personnalité : “Il y a différentes stratégies, par exemple, si on a affaire à un meutre affectif, on va essayer d’amener l’enquêteur à dire à la personne auditionnée qu’elle comprend le débordement pulsionnel qu’il a pu avoir, qu’il comprend sa souffrance” confie Emma de Oliveira à RMC Crime. En tant que psychologue, elle s’adapte et s’intéresse avant tout à l’humain. Pour cela, elle utilise des techniques de profilage, qui sont en réalité des statistiques. Mais comme chaque humain est différent, cette méthode connaît rapidement des limites. “On part sur des grandes bases mais derrière, notre force c’est aussi la compréhension de l’être humain et de son mécanisme”, explique-t-elle.
Il n’est pas toujours évident de ne pas être touché par les histoires. Une l’a particulièrement marquée : l’affaire de la petite Fiona. Cécile Bourgeon, la mère de la fillette de 5 ans, signale sa disparition en 2013, à Clermont-Ferrand. Après cinq mois d’enquête, elle avouera aux enquêteurs que c’est son compagnon, Berkane Maklouf, qui serait responsable de la mort de Fiona. Au moment où cette affaire éclate, Emma de Oliveira se voit confier ce dossier : “ J’ai passé des heures à l’écouter parler. J’étais déconcertée de la voir parler aussi facilement de sa fille disparue. A cette époque, je venais de devenir maman. J’étais confrontée à un regard de la maternité qui était totalement différent. Ce n’était pas du tout ce que je vivais. Psychiquement, ça a été assez difficile.”
Plus qu’un métier, une vocation
C’est vers l’âge de 8-9 ans, qu’Emma de Oliveira a voulu devenir psychologue. A l'adolescence, elle était fascinée par la criminologie et a commencé à lire les livres de Stéphane Bourgoin et à regarder le film Le Silence des Agneaux. “Moi qui me considère comme quelqu’un de non-violent, je me demandais comment on peut, à un moment dans sa vie, en arriver à tuer, violer, et pire encore, à aimer ça”. Problème : ce métier n’existait pas encore en France. Elle se dirige donc vers des études de psychologue clinicienne pour apprendre toutes les pathologies psychologiques. Ensuite, elle s’est spécialisée sur l’analyse des comportements déviants et la criminologie.
Mais, cette spécialisation n’est pas reconnue dans notre pays. Pourtant, c’est ce qui va lui ouvrir les portes de son métier. “Je compare souvent mon métier à celui de chanteuse ou de comédienne : on ne peut pas viser que ça car il faut assurer ses arrières”. Au début de sa carrière, elle a travaillé au commissariat pour l’accueil des victimes. Elle a ensuite collaboré avec la police judiciaire de Paris avant d’intégrer l’Office centrale pour la répression des violences aux personnes pour entamer son parcours de psycho-criminologue.
Son domaine est nouveau et très difficile à mettre en place “En 10 ans de carrière, parfois c’était compliqué car ce métier n’est pas encore vraiment entré dans les mœurs. Il suffit qu’un chef de service soit ‘antipsycho’ pour que tout devienne difficile. C’est un métier qui est encore à l’essai”. Pourtant, en France, ils ne sont que 5 à l’exercer.
Selon la professionnelle, il est nécessaire d’avoir certaines qualités humaines pour exercer ce métier pas comme les autres, telles que l’empathie. “Pour réussir à comprendre l’autre, il faut réussir à se mettre à sa place. Se mettre à la place d’un pédophile, d’un violeur ou d’un meurtrier c’est beaucoup plus compliqué. Mais il ne faut pas confondre avec la compassion”.
Ce n’est en tout cas pas pour le salaire qu’Emma de Oliveira exerce son métier. Au début de sa carrière, en 2012, elle touchait 1 300 euros net. Tous les deux ans, son salaire est revu à la hausse. Aujourd’hui, elle touche 2 700 euros.
Une profession sous haute tension
Travailler sur des affaires médiatisées n’est pas de tout repos. Emma de Oliveira doit réfléchir dans l’urgence et savoir apporter rapidement des éléments de réponse, car l’horloge tourne : “Il faut être efficace, lire le rapport et donner un avis très vite, surtout lorsqu'il s’agit d’un enlèvement d’enfants, de viols ou de meurtres en série. Parfois, il arrive que l’on rende un profil en moins de 24 h.”
Pourtant, son métier ne se fait pas toujours dans la rapidité et requiert un travail sur le long terme. Les affaires de “cold cases” en sont le parfait exemple. Ces affaires non-élucidées demandent un travail colossal et peuvent s’étaler sur plusieurs mois : “Il faut prendre en compte que ce sont des histoires qui peuvent dater de plus de 20 ans. Et sur ce type de dossiers, on se retrouve parfois avec plus de deux cent mille pages à lire. Alors ça demande aussi plus de temps.”
Emma de Oliveira ne fait pas cavalier seul pour élucider ses dossiers. En fonction des affaires, elle peut collaborer avec différents services d’enquêtes comme celui sur les sectes, les disparitions ou encore les crimes non résolus. C’est lors de réunions qu’est décidée de la pertinence de son intervention sur un dossier. Avant, leur champ d’action était assez limité. Les psycho-criminologues ne pouvaient pas assister à une audition. Les magistrats redoutaient que les avocats se servent de leur rapport lors de procédures. Maintenant, les juges d’instruction peuvent les désigner en tant qu’experts. Une fois nommés, ils ont une totale liberté pour avoir accès à la procédure.
Des stéréotypes à balayer
Les séries télévisées américaines véhiculent des stéréotypes autour de ce métier, comme la série Mindhunter. Notamment celui où cet expert se rend sur les scènes de crimes avec les enquêteurs. Alors que le psycho-criminologue est loin d’être un métier de terrain et la grande partie de son travail se fait derrière un ordinateur : “ Notre boulot, c’est 90 % depuis notre poste. Nous faisons principalement de l’analyse à partir de photos et de lecture. Et 10 % à l’extérieur. Quand on part en mission, nous pouvons accompagner un enquêteur pour une audition.”
La psycho-criminologue constate aussi que son métier n'est pas pris au sérieux : “En France, il n’existe pas d’image de notre profession. Les personnes mélangent souvent les termes. Parfois, on nous prête des capacités que l’on a pas. La plupart du temps, on nous prend pour des médiums ou des charlatans."
Entre ses cours à l’université et la mise en pratique sur le terrain, Emma de Oliveira remarque qu'il existe un monde. Pour exercer cette profession, elle se forge une carapace et instaure une distance avec les affaires traitées : “Il faut être solide et avoir une vie équilibrée. C’est ce qui permet de ne pas plonger corps et âme dans son métier.”
Malgré tout, elle comprend que son métier puisse susciter l'intérêt, mais refuse qu’il soit idéaliser : Il ne faut pas oublier qu’il existe un décalage entre le fantasme et la réalité.”