Quatre hommes bientôt jugés pour la mort de Cristina Mazzotti, lycéenne enlevée et tuée par la mafia en 1975

Tribunal de Milan, en Italie (image d'illustration) - AFP
Quarante-neuf ans plus tard, l'assassinat de Cristina Mazzotti va enfin pouvoir être jugé. Quatre hommes de la mafia calabraise ont été inculpés pour l'enlèvement et le meurtre de cette jeune Italienne de 18 ans, comme le rapportent les médias italiens, dont La Repubblica.
Si cette affaire a un retentissement particulier, c'est parce qu'il s'agit de la première femme kidnappée par la 'Ndrangheta, la mafia calabraise (Italie). La police ne pensait jamais réussir à obtenir justice pour cette affaire qui la tourmente depuis près d'un demi-siècle.
Ce jeudi 19 octobre, ce sont quatre hommes âgés de 69 à 78 ans qui ont été convoqués par le tribunal de Milan. Cinq décennies plus tard, ils vont devoir puiser dans leur mémoire pour s'expliquer sur cette affaire devant les magistrats. Mais cela s'avère compliqué car ce n'est pas dans les valeurs qui les lient à la mafia que de révéler la vérité.
Enlevée le jour de ses 18 ans
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à l'été 1975, qui a marqué le début de la "saison des enlèvements". À cette époque, toute l'Italie est effrayée par les enlèvements et les demandes de rançon menés par la mafia calabraise, comme le rappelle Le Monde. Leur objectif est de se faire un maximum d'argent tout en imposant leur pouvoir auprès du peuple italien, notamment au nord du pays.
C'est dans ce contexte qu'a lieu l'enlèvement et le meurtre de la jeune Cristina Mazzotti, qui fête son 18ème anniversaire le 30 juin 1975. Pour elle, cette soirée représente le début de sa vie d'adulte. Pour célébrer sa liberté, elle se rend à bord d'une Mini austin bleu métallisé dans la maison de campagne de sa famille, avec deux de ses amis.
Mais sur la route, aux alentours d'1h30 du matin, les trois jeunes gens se font surprendre par deux voitures, une Alfa Romao et une Fiat 125, qui bloquent leur véhicule. C'est à ce moment-là que Cristina Mazzotti est enlevée par quatre hommes cagoulés. Marquant le début de l'"affaire Mazzotti", qui va faire la une des médias italiens pendant plusieurs années.
2.5 millions d'euros de rançon
Quelques jours plus tard, comme lors de chaque enlèvement perpétré par la 'Ndrangheta, une rançon est demandée à la famille. Cette fois-ci, c'est un homme se faisant surnommé "le Marseillais" qui ordonne à la famille de payer 5 milliards de lires (2.5 millions d'euros), en échange de Cristina. Malgré le fait que son père gagne très bien sa vie en tant qu'entrepreneur, il est impossible pour lui de réunir cette somme.
Les mois passent et ses parents s'inquiètent de ne jamais revoir leur fille vivante. Quelques semaines plus tard, le groupe de ravisseurs décide de leur faire une nouvelle proposition. Cette fois-ci, c'est une rançon d'1 milliard de lires qui est demandée (500.000 euros).
Helios Mazzotti, le père de la jeune fille, décide de tenter le tout pour le tout pour espérer récupérer Cristina vivante. Il vend alors des biens, emprunte de l'argent, hypothèque sa maison et finit par réunir la somme demandée, comme le rapportent nos confrères du Monde. L'homme se rend donc à l'endroit indiqué par son interlocuteur de la mafia et y dépose l'argent. Mais sa fille n'est pas libérée et ses ravisseurs ne répondent plus.
Elle meurt la veille de la remise de rançon
Il faut attendre le 1er septembre pour connaître la destinée de Cristina Mazzotti. La police italienne reçoit des indications de la part d'un suspect qui lui indique une décharge dans une petite commune, près de la route où a été enlevée la jeune fille. Et en fouillant le sol, les carabiniers découvrent avec stupeur le corps de Cristina Mazzotti.
Une autopsie révèle par la suite qu'elle a été dénutrie et droguée avant d'être tuée. Les analyses permettent également d'estimer qu'elle est morte un mois et demi plus tôt, soit la veille de la remise de rançon par son père. Un détail traumatisant pour ses proches.
L'Italie entière pleure la mort de cette jeune fille qui avait toute la vie devant elle. Mais, rapidement, l'enquête est clôturée quand un suspect est interpellé. Placé en détention, ce dernier n'hésite pas à donner des noms de complices.
Au total, 12 hommes et une femme sont condamnés, en 1977, dont huit à la réclusion criminelle à perpétuité. Mais tous ne sont que des seconds couteaux, qui arrondissent leurs fins de mois en rendant service à la mafia. Ce que la police veut, c'est arrêter les têtes pensantes de cet assassinat. Ceux qui ont tout orchestré.
Une empreinte digitale coïncide
Après le procès qui a permis de condamner les complices de l'enlèvement de Cristina, la police classe l'affaire. La famille de la jeune fille sait qu'il y a peu de chance que les enquêteurs continuent leurs investigations et se font à l'idée que les commanditaires ne seront jamais punis.
Mais en 2006, l'affaire est finalement relancée grâce à la découverte d'une empreinte digitale sur la Mini Austin, qui coïncide avec la base de données de la police. Il s'agit de l'empreinte de Demetrio Latella, surnommé Luciano, un tueur de la mafia calabraise qui avait déjà été condamné à perpétuité, mais qui avait fini par être libéré sous condition.
Interrogé sur cette affaire et mis face à l'empreinte retrouvée sur la voiture, l'homme ne nie pas longtemps les faits et avoue qu'il se trouvait bien dans la voiture qui a enlevé la jeune fille. Il ne s'arrête pas là et balance les trois autres personnes qui se trouvaient avec lui. Parmi elles, Giuseppe Calabro, surnommé u Dutturicchiu, qui signifie "le petit docteur", et Antonio Talia. Un peu plus tard, le nom de Giuseppe Morabito va rejoindre la liste des suspects. C'est une avancée inespérée dans cette affaire.
Un livre relance l'enquête
Le parquet antimafia se saisit du dossier. Mais, malgré cet aveu, l'enquête piétine avant de tomber finalement sous le coup de la prescription en 2012. Un nouveau coup dur pour les proches de Cristina Mazzotti, qui croyaient beaucoup en ces nouveaux éléments.
C'est finalement une nouvelle loi qui, en 2015, va leur redonner un nouvel espoir. Désormais, les crimes passibles de la perpétuité ne sont plus prescriptibles. Et c'est justement le cas de cette affaire. Autre élément, l'avocat des frères de la jeune fille, Me Fabio Repici, publie le livre I soldi della P2, mettant en avant des confessions de témoins de l'affaire. Grâce à ça, il permet de relancer les investigations en 2020.
Après deux ans d'enquête, le 9 novembre 2022, le parquet de Milan décide de clôturer l'instruction.
Les quatre prévenus sont donc renvoyés devant la cour d'assises. Mais les chances pour qu'ils révèlent toute la vérité sont minces. Car, l'une des règles de conduites de la mafia calabraise est de garder le silence. Deux des accusés ont d'ailleurs demandé à être jugés selon le rito abbreviato, qui consiste à maintenir l'audience à huis clos et à se contenter aux éléments du dossier, sans évoquer d'affaires connexes par exemple.
Ce procès s'ouvrira le 24 septembre 2024 devant la cour d'assises de Côme.