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Affaires criminelles

La justice restaurative: un dispositif pour réparer par le dialogue entre criminels et victimes

Illustration des rencontres condamnés-victimes

Illustration des rencontres condamnés-victimes - Emilien Delhaye

Dans le cadre de la semaine internationale de la justice restaurative, RMC Crime fait un zoom sur ce dispositif encore méconnu en France dont le but est de restaurer le dialogue entre les auteurs d'infraction et les victimes.

Encore méconnue en France, la justice restaurative est déjà très installée dans d'autres pays, comme le Canada ou la Belgique. Dans notre pays, elle voit le jour avec la mise en place de la loi Taubira en 2014. Elle est conçue officiellement pour "appréhender l’ensemble des répercussions personnelles, familiales et sociales liées à la commission des faits. Elle participe ainsi, par l’écoute et l’instauration d’un dialogue entre les participants, à la reconstruction de la victime, à la responsabilisation de l’auteur et à l’apaisement, avec un objectif plus large de rétablissement de la paix sociale."

Rencontre avec mon agresseur

Rencontre avec mon agresseur

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Mais derrière cette définition, qu'est-ce que c'est la justice restaurative? Estelle Priou avocate au barreau de Bordeaux, nous explique les enjeux mais aussi les limites de ce dispositif.

• A quoi cela sert?

La justice restaurative offre un espace de dialogue aux personnes concernées par une infraction, qu'elles soient auteures ou victimes. L'objectif est d'avoir un endroit de discussion sécurisé: "Ceux ou celles qui en bénéficient ne sont pas jetés dans l'arène comme ça, mais sont préparés bien amont à ces rencontres", explique Estelle Priou, avocate à Bordeaux.

La justice restaurative permet parfois aux victimes d'avoir des réponses aux questions auxquelles le procès pénal n'a pas su répondre, mais aussi de leur donner la parole. Les auteurs d'infraction, quant à eux, peuvent comprendre l'impact et les répercussions de leur acte sur la victime. Le moyen, peut-être, d’arriver à une prise de conscience et ainsi, d’éviter une possible récidive. Mais sur ce dernier point, difficile de juger de l’efficacité du dispositif: en effet, la justice restaurative est trop récente, c’est pourquoi on ne dispose pas encore de données fiables quant au taux de récidive des personnes en ayant bénéficié.

• Qui peut en bénéficier?

Ce n’est pas un juge qui l'impose mais aux auteurs et aux victimes de la demander. Les magistrats ou les avocats peuvent les informer de l'existence de ce dispositif à tous les stades de la procédure pénale, s’ils estiment que ça peut les aider. Les personnes peuvent bénéficier, gratuitement, de la justice restaurative quelle que soit l’infraction, le crime, le délit ou la contravention.

Pour participer à ce dispositif, les auteurs doivent cependant avoir reconnu les faits et avoir un mot pour leur victime. Une fois ce chemin parcouru, ils peuvent entreprendre une mesure de justice restaurative. En y participant, aucun n'obtient de réduction de peine, mais bien un endroit où dialoguer. Quant aux victimes, elles ne touchent aucune indemnisation.

• Quelles sont les différentes mesures restauratives?

Il existe plusieurs types de mesures restauratives comme la médiation restaurative, les rencontres condamnés-victimes ou encore les rencontres détenus-victimes. Pour ces dernières, la victime doit se déplacer jusqu’à la prison pour faire cette rencontre. Elle a souvent lieu dans un lieu “neutre”, comme par exemple dans la salle de repas de la prison qui peut parfois être redécoré de sorte à ce que ni la victime ni le détenu ne se sentent mal à l’aise ou écoutés.

Les rencontres condamnés-victimes se font quant à elles en groupe avec trois condamnés et trois victimes. Ces groupes se rencontrent à plusieurs reprises en fonction des besoins de chacun. Les personnes qui y participent ont souvent vécu ou commis un fait similaire, mais ce n’est pas toujours systématiquement le cas.

Pour les deux types de rencontres, les personnes qui prennent part à ce dispositif sont encadrées par un animateur (bénévole) afin que l’espace soit sécurisé. Avant la rencontre, plusieurs rendez-vous avec les associations sont nécessaires afin de juger s’ils sont prêts à se rencontrer.

•Comment ça se passe?

Les personnes qui participent aux rencontres condamnés-victimes sont préparées en amont. Elles sont questionnées sur leurs attentes, ce qu'elles voudraient exprimer ou encore les scénarios auxquels celles-ci pourraient être confrontées. Le choix du lieu de rencontre est primordial, il n'est pas choisi au hasard: "A Bordeaux ça se passait à la faculté, explique Estelle Priou. Les personnes qui venaient appréciaient l'endroit."

Lors de ces séances, deux animateurs sont présents afin de donner un cadre aux participants. Des "membres de la communauté" participent aussi à ces rencontres. Leur rôle est d'instaurer un climat de neutralité. Tous sont bénévoles. Estelle Priou a suivi des formations pour participer à ce dispositif. L'avocate bordelaise a déjà assisté à des RCV en tant que membre de la communauté.

"Nous ne sommes pas là pour parler mais pour écouter. Il faut être attentif, empathique. Lors des pauses, on accompagne les participants, on discute avec eux, on essayer de faire redescendre la pression. Moi, j'utilisais l'humour."

Tous sont regroupés en cercle. Avec un bâton de parole, les personnes décident de s'exprimer lorsqu'elles le souhaitent et se sentent prêtes à le faire. Au total, il y a cinq rencontres et deux mois plus tard une séance bilan.

• Des limites?

Malgré tout, la justice restaurative connaît des limites à son développement et ne permet pas de panser toutes les plaies ni de prévenir à coup sûr la récidive. D'abord, les victimes ne sont pas toujours informées de l'existence de ce dispositif. Lorsque ces personnes décident de porter plainte, elles ne sont pas toujours mises au courant de leurs droits dont l'accès à la justice restaurative.

Autre donnée à prendre compte est que les victimes ne se sentent pas forcément prêtes à se tourner vers ce dispositif. En plus de ces difficultés-là, la mise en place des mesures restauratives peut être longue ce qui ne convainc pas totalement le monde judiciaire, qui a du mal à laisser une place à la justice restaurative.

Marine Lemesle