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Meurtre de Lola: comment s'organise l'aide psychologique pour les forces de l'ordre

L'immeuble où Lola habitait et au pied duquel son corps a été retrouvé, à Paris le 15 octobre 2022

L'immeuble où Lola habitait et au pied duquel son corps a été retrouvé, à Paris le 15 octobre 2022 - JULIEN DE ROSA © 2019 AFP

Comme dans le cas de l'affaire Lola, les forces de l'ordre sont amenées régulièrement à travailler sur des interventions difficiles et traumatisantes. Même s'ils sont formés pour cela, certains peuvent en souffrir psychologiquement.

Vendredi 14 octobre, le corps de Lola, 12 ans, a été découvert dans une malle près d'un immeuble dans le 19e arrondissement de Paris. Retrouvée morte, la jeune fille a été victime de nombreuses violences, ligotée, violée, violentée.

Si les policiers qui travaillent sur cette affaire sont formés et habitués à des situations violentes, ils sont particulièrement traumatisés à la suite de cette affaire. Si bien qu'une cellule d'aide psychologique a été ouverte  au commissariat du 19e arrondissement de Paris. Une démarche peu courante.

La cellule psychologique dans les commissariats est mise en place par la Préfecture de police de Paris à la demande des policiers ou de leur hiérarchie lorsqu'un évènement traumatisant se produit. Dans le cas présent, la demande était commune. Une cellule psychologique de ce type est temporaire et a vocation à bouger sur tous les commissariats parisiens en fonction des besoins.

"C'est une mesure qui fait partie du plan antisuicide lancée par le ministère de l'Intérieur", nous explique une source policière. C"ette cellule intervient dès lors qu'un évènement traumatisant se produit, comme une tuerie particulièrement marquante, un accident de la route très violent...". "Cette cellule est très sollicitée par les policiers, la demande est montée en puissance depuis les attentats de 2015", explique Josias Claude secrétaire départemental du syndicat UNITÉ SGP POLICE Paris.

Des rendez-vous au commissariat ou à l'extérieur

Généralement, un ou deux psychologues se déplacent dans le commissariat concerné et se fait connaître des effectifs qui sont libres de faire appel à lui ou pas. Ils peuvent convenir d'un rendez-vous qui aura lieu soit au commissariat, soit à l'extérieur pour plus d'anonymat. La plupart du temps, ils restent sur place entre deux et trois jours, mais cela varie en fonction des besoins.

N'importe quel policier qui ressent le besoin d'être suivi psychologiquement peut en faire la demande. "C'est plus facile de franchir le cap lorsque les psychologues viennent directement vous voir," nous indique un policier. Cette affaire "sort de l'ordinaire et qui ne se produit pas tous les jours", affirme un des membres du syndicat d'Alternative police.

En tout, il y a 16 psychologues dans cette cellule pour Paris et la petite couronne, 26 en tout qui couvrent toute la plaque Île-de-France, selon Josias Claude.

Forcément, vous vous projetez d'autant plus si ce sont des enquêteurs qui sont pères ou mères de familles. Ce sont des affaires humaines on a beau dire qu'on est immunisé contre tout ça mais ce n'est pas vrai, notamment lorsqu'il s'agit d'enfants," affirme-t-il.

Une ligne d'écoute

Cette affaire a soulevé des questions liées à l'encadrement psychologique des policiers. En dehors de cette tragique affaire, il est habituel que les forces de l'ordre, policiers comme gendarmes, soient confrontés à des situations violentes et traumatisantes. Et notamment sur les affaires de violences intra-familiales, où il est courant de s'identifier.

Côté gendarmes, ce sont 42 psychologues qui sont déployés sur le territoire national mais aussi présents dans une partie des Dom-Tom et un numéro de téléphone nommé "Ecoute Défense" a été mis à leur disposition 24h/24 et 7 jours sur 7 pour les accompagner personnellement.

Ludovic*, gendarme, nous explique avoir déjà dû intervenir sur des cas de violences conjugales. "Tu vois les chiffres des violences domestiques à la télévision, c'est très impersonnel. Là, je le voyais de mes propres yeux. Ça secoue et ce n'est pas facile à voir."

Les psychologues sont des membres à part entière de l’institution. Lorsque des gendarmes ressentent le besoin d'aller consulter, ils peuvent y aller sans avoir l'accord de leur hiérarchie. Les motifs de consultation sont multiples. Ils peuvent être liés à ce qu’ils ont vécu en intervention comme les accidents graves ou une mort tragique. Les gendarmes ont accès à un suivi personnalisé et individualisé. Les psychologues interviennent aussi en amont pour prévenir le risque de stress post-traumatique.

"Si on intervient tôt, on a moins de risques que la situation se dégrade et que le nombre de symptômes s’enkystent", indique la capitaine Nathalie Severy, psychologue clinicienne à la gendarmerie.

Des psychologues débordés

Lors d'opérations difficiles, ces professionnels interviennent aussi pour le collectif de la gendarmerie. Lorsque c'est nécessaire, ils vont à la rencontre de la hiérarchie et des unités concernées pour les aiguiller. Des temps d'échanges peuvent être organisés pour verbaliser leur pratique et poser des mots sur ce que les gendarmes vivent, en groupe.

Toutefois, ces professionnels de santé sont souvent débordés par les demandes de consultation et un protocole a été signé pour augmenter les effectifs de psychologues de 42 à 85 d'ici 2027.

"Nous sommes beaucoup sollicités, mais nous voulons faciliter l’accès aux psychologues. L'année dernière, 5000 personnels ont été suivis dans toute la France", affirme Nathalie Severy.   

Pour cette psychologue clinicienne, consulter un psychologue est devenu moins tabou. Selon elle, les idées reçues sur leur profession commencent à s'estomper. Consulter un professionnel, n'est plus perçu comme une faiblesse. Les gendarmes poussent plus la porte pour se faire aider même "des officiers viennent consulter".

Mais malgré toutes ces aides proposées, au moins 15 gendarmes ont mis fin à leur jour depuis le début de l'année 2022, selon Libération. Du côté de la police au moins 34 se sont suicidés depuis janvier, selon l'Echo républicain. Nathalie Severy affirme que les psychologues redoublent de vigilance sur la prévention des actes suicidaires, l'amélioration de l'accès aux soins et surtout à destigmatiser le sujet de la santé mentale.

* le prénom a été changé

Marine Lemesle