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Affaires criminelles

Du terrain aux tribunaux, le rôle méconnu du procureur

Pour le procureur général Jacques Dallest, le procès de Nordahl Lelandais était son dernier procès médiatique

Pour le procureur général Jacques Dallest, le procès de Nordahl Lelandais était son dernier procès médiatique - -

Juge d'instruction, puis procureur de la République, et enfin procureur général, Jacques Dallest laisse derrière lui une carrière impressionnante. Pour RMC Crime, il revient sur son poste de procureur qu'il a occupé pendant 28 ans.

"Le procureur côtoie souvent la mort, la mort violente et brutale, comme le suicide ou l'accident. Ce n'est pas toujours criminel", c'est ainsi que Jacques Dallest, l'ancien procureur général de la cour d'appel de Grenoble, décrit son métier.

DANS LA TËTE DE NORDAHL LELANDAIS

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La carrière de Jacques Dallest donne le vertige. Pendant 28 ans, il a occupé le poste de procureur, sans oublier un passage de 10 ans en tant que juge d’instruction. Pour en arriver là, l'homme est d'abord passé par l'école de la magistrature à Bordeaux. Une formation qui dure 31 mois. Puis deux choix se sont offerts à lui: celui d’être magistrat du siège ou du parquet. Dans certains pays, il n'est pas possible de basculer de l'un à l'autre. En France, c'est possible.

Procureur, un métier de terrain et de rencontres

Alors, il embrasse une carrière de 10 années comme juge d’instruction à Rodez et à Lyon. Saisi par le procureur de la République dans des affaires pénales complexes, son rôle est de diriger l'action de la police judiciaire. Si une personne est suspecte dans un dossier, il peut aussi décider de la mettre en examen.

Après toutes ces années, Jacques Dallest ressent un besoin de changement dans sa vie professionnelle. Il décide de quitter le siège pour le parquet. Une nouvelle l'expérience l'attend, celle de procureur de la République. Pendant quinze ans, ce dernier passera à Roanne, Marseille, Bourg-en-Bresse, jusqu'à Ajaccio. Sa fonction l'oblige à être mobile et de changer de juridiction tous les sept ans. Son métier est souvent médiatisé, pourtant il se rend compte qu’on ne connaît pas précisément son rôle.

“Le procureur est en lien permanent avec l'activité pénale de son ressort. Il travaille à la fois avec la police, la gendarmerie, mais aussi d'autres intervenants comme l'administration pénitentiaire. C’est un personnage important au cœur de la cité."

Lorsque le procureur de la République est avisé d’un délit ou d’un crime, il peut être amené à se déplacer sur les lieux, et si nécessaire engager des poursuites pénales. Quand le tribunal rend une décision de justice, il les exécute aussi. Si une affaire prend de l’ampleur, ce magistrat peut communiquer avec les médias. Son champ de compétence s’étend aussi au civil. Ce dernier peut intervenir dans le droit des personnes, de l'état-civil ou encore le commercial. Pour Jacques Dallest, c'est avant tout "un métier de terrain".

L'assassinat du préfet Erignac lui reste en mémoire

Jacques Dallest reste toujours marqué par l'assassinat du préfet Érignac en 1998. Pour lui, ça n'est jamais arrivé d'éliminer un haut fonctionnaire en exercice. Autre affaire: celle d'une jeune fille violée, puis tuée en 1993. A l'époque, il était juge d’instruction et a instruit le dossier pendant un an avant d'être muté. L’instruction se poursuit et le meurtrier court toujours.

Le procureur de la République est amené à se rendre sur place. Pourtant, aucune formation ne les prépare à voir ces scènes de crimes. Avec le temps, Jacques Dallest en a vu de plus en plus, et s’est forgé une carapace: "La souffrance, les drames, ça fait partie du métier."

Malgré tout, ces affaires l'ont parfois empêché de fermer l'œil de la nuit: "Il faut réussir à l’évacuer. Après, nous sommes un peu comme les militaires, ils ne racontent pas trop leur guerre, et garde ça pour eux."

A force de voir beaucoup de meurtres et de crimes, Jacques Dallest s’est endurci au fil du temps. Mais le danger pour le procureur, c’est de tomber dans une "espèce de froideur". C'est pour cela qu'il n'oublie pas le côté humain, tout en gardant une distance avec ceux qu’il rencontre.

"Parfois, vous oubliez la souffrance des victimes et de leurs familles. On l'a comprend, mais elle ne doit pas nous envahir, autrement on ne peut plus travailler."

Un procureur se doit d’avoir de l’humanité, de la probité, de prendre des décisions rapidement, mais aussi de faire preuve d’autorité humaine, telles sont les qualités nécessaires pour exercer le métier de procureur. Pour Jacques Dallest, il est important de communiquer avec la presse, d’expliquer ses décisions, et d'informer sur son rôle dans la chaîne de la justice.

L'homme de loi explique qu'en début de carrière, le salaire d'un magistrat s’élève entre 2500 à 3000 euros. Puis, cela peut aller jusqu’à 12.000. Cette hausse dépend aussi de la taille de la juridiction. Bien sûr, un tel travail nécessite une dévotion presque totale. Notre interlocuteur se souvient avoir pu travailler jusqu’à 80 heures par semaine: "Les crimes, les attentats, se produisent rarement aux heures ouvrables, mais plutôt le week-end et la nuit", fait-il remarquer.

La dernière aventure pour ce Haut-Savoyard démarre en 2016. Jacques Dallest arrive en Isère comme procureur général près de la cour d'appel de Grenoble. Lorsqu'il prend la parole durant les audiences, il tient à garder un ton calme pour s'adresser à un accusé. Même si cela ne l'empêche pas d'avoir des paroles dures. Pour lui, cela n'a aucun intérêt de vociférer ou d'insulter: "On ne cherche pas à faire un concours d'éloquence. Quand on requiert, ça peut être très bref et très percutant."

C'est avec l'un des rendez-vous judiciaires les plus attendus de 2022 que le procureur général a terminé sa carrière, prononçant les réquisitions lors du deuxième procès de Nordahl Lelandais en février, du nom de ce maître-chien accusé de l'enlèvement, de la séquestration et du meurtre de la jeune Maëlys en 2017.

Lors de sa prise de parole, Jacques Dallest se souvient en particulier d'un moment:

"Je l'ai qualifié de danger social absolu. Mais je n'ai jamais utilisé le mot de monstre. D'ailleurs, je ne le comprends pas, car personne n'est un monstre physiquement et moralement. Par contre, l'acte peut être monstrueux."

Nordahl Lelandais avait déjà été condamné pour le meurtre du caporal Athur Noyer, perpétré lui aussi en 2017. Ce qui justifie de le laisser hors de la société de façon durable: "N'importe qui peut devenir ou se transformer en meurtrier", juge le procureur désormais à la retraite. Avant d'avertir: "Le tueur ce n'est pas toujours l'autre, et ça, il faut l’accepter."

Lorsque le verdict tombe, l'accusé est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de 22 ans. Il n'a pas fait appel de la décision. Une peine satisfaisante pour ce procureur général.

Maintenant que Jacques Dallest a raccroché sa robe de magistrat et passé le flambeau aux plus jeunes, il tient à leur confier un dernier conseil. "Sortez du bureau et du palais de justice, ne restez pas dans votre tour d’ivoire. Allez sur le terrain."

Marine Lemesle