Il dévitalisait des dents à tour de bras: un podcast sur l'affaire du "dentiste-boucher" de Marseille

"Le sourire Guedj", un podcast produit par Paradiso Media en collaboration avec 20 Minutes. - Paradiso
Son procès en appel s'est ouvert le 25 mai à Marseille. Lionel Guedj, un dentiste marseillais, est accusé d'avoir mutilé plus de 300 patients des quartiers nord de la ville en dévitalisant leurs dents et en posant des prothèses sans raison valable, entraînant de nombreuses infections.
Mathilde Ceilles, journaliste au bureau marseillais du quotidien 20 minutes, a longuement enquêté sur ce scandale sanitaire d'ampleur derrière lequel se cache ce que la justice estime être une énorme escroquerie à la sécurité sociale. Le 1er mai dernier, elle sortait Le Sourire Guedj, un podcast revenant en profondeur sur l'affaire, produit par Paradiso Media.
Pour RMC Crime, elle revient sur la manière dont elle a enquêté et sur les tenants et les aboutissants de l'affaire.
Comment en êtes-vous venue à enquêter sur Lionel Guedj?
En 2022, dans le cadre de mes fonctions, je couvre souvent des procès, et celui-ci faisait partie des plus attendus de l’année à Marseille.
Avant le procès, mon rédacteur en chef me demande de réaliser des articles. J'ai contacté les parties civiles et la défense, et j’ai rencontré des victimes pour en faire un article à part. Un avocat me donne plusieurs numéros, dont celui de Noël. C’est par lui que je rentre dans l’affaire Guedj. Il est réparateur naval sur le port de Marseille, il me donne rendez-vous au port. Il me montre sa bouche, il n’y avait plus que quelques dents. J’avais prévu de rester une demi-heure. En fait, ça a été une heure et demie d’un récit en continu de sa part, avec ce besoin presque cathartique de parler.
On le retrouve avec toutes les victimes de cette affaire: le besoin d’expliquer, comme si elles avaient besoin de comprendre elles-mêmes.
Au cours du podcast, on rencontre justement plusieurs patients du dentiste. De quoi ont-ils été victimes?
Il faut rappeler qu’un procès en appel est en cours, et donc qu’il est toujours présumé innocent. Pour autant, ce qui ressort des auditions des enquêteurs et des témoignages, c’est une systématisation dans la façon dont Lionel Guedj prend en charge ses patients.
Le cabinet est au cœur des quartiers nord de Marseille, et la grande majorité des patients sont bénéficiaires de la Couverture maladie universelle (CMU).
Ils font confiance à ce dentiste, poussent la porte du cabinet pour des problèmes plus ou moins lourds, et Lionel Guedj leur propose presque à chaque fois la dévitalisation des dents et une pose de prothèses. Il posait 28 fois plus de prothèses que la moyenne, sans forcément avoir le consentement de ses patients. Et pour une grande partie, ces prothèses étaient payées par la sécurité sociale.
Dans quel but aurait-il travaillé de cette manière?
En quelques années, ça lui aurait permis de devenir littéralement le dentiste le plus riche de France, avec un chiffre d'affaires qui dépasse les 2 millions d’euros. Il avait aussi un rythme de travail extrêmement soutenu, lui-même le dit d’ailleurs. Une victime raconte dans le podcast qu’on lui a dévitalisé 17 dents en une heure.
La CPAM a porté plainte contre le dentiste qu'elle accuse d'escroquerie, et environ 300 patients se sont constitués parties civiles après avoir eu de graves problèmes de santé buccale. Le procès en première instance devait être chargé en émotion?
Les récits des victimes sont violents, parfois difficiles à entendre. Je ne m’étais jamais posé la question de ce que ça fait de ne plus avoir de sourire, des conséquences sur l’intimité et la vie quotidienne. L'une des victimes racontait que sa femme lui demandait de se retourner dans le lit pour ne pas avoir à sentir les odeurs qui émanent de la bouche de son mari. C'est très dur!
Quelle attitude adopte Lionel Guedj à l'audience?
C’est un homme qui depuis le départ nie avoir dévitalisé sciemment, des dents saines. Il a un certain goût pour le luxe. Avec l’argent du cabinet, il a quand même pu acquérir des centaines d’appartement, un yacht, des œuvres d’art. Il a aussi raconté qu’il s’était vu mourir après avoir eu un cancer. Peut-être qu'il y avait une volonté de sa part de mettre à l’abri les siens.
Il se disait assez proche de ses patients, les tutoyait, était familier avec eux. Mais il ne comprend pas trop pourquoi il est là, il n'a pas d’explication claire sur comment il en est arrivé là, si ce n’est par une erreur de jeunesse.
Vous assistez en ce moment au procès en appel du dentiste. Qu’est-ce qu’il faudrait en retenir pour l'instant?
C’est un procès avec autant de rebondissements que le procès en première instance. On retrouve un Lionel Guedj très offensif, qui au troisième jour d'audience est arrivé avec un épais classeur sous le bras pour reprendre les expertises une par une, patient par patient. Le raisonnement qu’il avance, c'est que les expertises ont été mal faites, donc qu'il a été condamné sur des choses fausses.
Dans cette affaire, seule une partie des victimes a pu être indemnisée en raison du problème de moyens de la justice française, et une lenteur des indemnisations. Au fur et à mesure des jours, je me dis que c'est plus qu’un fait divers. Il demeure en France une inégalité d’accès aux soins selon où on habite, selon nos revenus. Cela interroge aussi la manière dont l’argent peut influencer le comportement de quelqu'un. Et pose la question de la frontière entre un soignant et un homme d’affaires.