RMC Crime
Films et séries criminels

"Une enfance crucifiée": l'institut Marini, des années de tortures et d'abus sexuels sur des mineurs

Jusqu'en 1981, des milliers d'enfants sont passés par l'institut Marini, en Suisse.

Jusqu'en 1981, des milliers d'enfants sont passés par l'institut Marini, en Suisse. - RMC Story

Pendant près d'un siècle et jusqu'en 1981, l'institut Marini en Suisse a accueilli des milliers d'enfants. Beaucoup y ont été battus, violés, certains même sont peut-être décédés après ces abus.

"Des vies ravagées". C'est ce que décrivent, des décennies après avoir quitté les lieux, d'anciens pensionnaires de l'institut Marini en Suisse, qui a accueilli pendant près d'un siècle des enfants placés ou orphelins. Soit parce que l’on considérait que leurs parents étaient trop pauvres pour les élever, soit parce qu’ils étaient jugés comme mal éduqués, ces mineurs étaient pris en charge par l'institution.

Jusqu'en 1981, plus de 100.000 enfants ont été placés de force

Jusqu'en 1981, plus de 100.000 enfants ont été placés de force

VOIR NOTRE DOCUMENTAIRE

Mais une étude menée récemment par des historiens et qui s'appuie notamment sur des témoignages et des archives montre que de nombreux abus ont été commis derrière les portes de l'institut.

"La torture, l’humiliation… C’est ce qu’ils appelaient l’éducation", souffle Michel, qui y avait été placé à l'âge de 8 ans. "Je vois toujours ces gens-là, en train de faire des tortures. C’est les images qui reviennent."

Le retraité décrit également les scènes de torture qui lui restent en mémoire. "À la fin, je ne ressentais plus la douleur", commente-t-il, victime de nombreux coups par les prêtres qui encadraient les pensionnaires.

Des violences à répétition

À présent détenus par une organisation religieuse, les bâtiments de Marini n’ont plus rien à voir avec le sombre passé des lieux. Mais comme pour Michel, c'est l'image d'une institution violente qui revient en mémoire d'autres anciens pensionnaires.

Sur les photos de cette époque, Daniel affiche un sourire presque serein. Pourtant, placé à l’âge de 12 ans avec son frère à l’institut Marini, il décrit une réalité bien loin d'une enfance heureuse. "C’est à se demander comment je pouvais être comme ça malgré ce que je vivais", déclare-t-il avant de confier un épisode particulièrement traumatisant pour lui.

"J’avais perdu mon frère de vue, je me suis retourné pour le chercher. Je n’ai pas vu arriver vers moi le professeur de Français. Il m’a collé une tarte, je suis arrivé la tête dans le mur. J’ai eu mal à la tête pendant cinq ou six jours, mais ils ne se sont pas inquiétés. On n’était rien pour eux, il n’y avait aucune humanité", raconte Daniel.

Abus sexuels

Michel et Daniel ne sont pas des cas isolés. De nombreux pensionnaires ont subi les mêmes traitements, comme le montrent les études récemment menées par deux historiens. "Le régime de cette institution est extrêmement strict. Il est certainement au-dessus de la moyenne de ce qu’on peut imaginer en Suisse à l’époque. On peut dire que ça confine à la maltraitance", explique Anne-Françoise Praz, l'une des deux experts.

Les pensionnaires, pour la majorité des enfants placés, n’avaient pas forcément reçu une éducation convenable dans le cadre familial. “On pensait qu’il fallait les dresser”, poursuit l’historienne.

Et la violence subie par les pensionnaires de Marini dépasse les coups: toutes les personnes qui ont accepté de témoigner rapportent également des abus sexuels de la part d'un surveillant en particulier dans les dortoirs. "Il y avait un coin, à l’entrée à gauche, où il y avait une toile autour. [Le surveillant] venait chercher un gamin, on se disait, 'mais il fait quoi?'. On ne connaît rien à cet âge-là", décrit Bernard, un autre ancien pensionnaire. Ce dernier avait écopé d’une punition pour avoir refusé de se laisser faire.

“On était plusieurs à avoir la trouille la nuit. C’est là que les viols ont eu lieu”, abonde Michel.

"Il aurait fallu réagir plus tôt"

Jean-Louis, qui a passé cinq ans à Marini dans son enfance, a été l’un des premiers à évoquer les violences dont les pensionnaires de l’institut faisaient l'objet. Lui aussi a régulièrement été victime du même surveillant. "Il a tué quelque chose en moi", estime-t-il aujourd’hui, ajoutant avoir également subi des agressions de la part du directeur. Selon lui, les différents prêtres de l’institut semblaient avoir mis au point un réseau de pédophilie.

C’est en 1956 que l’institut et l’Eglise catholique sont frappés par le scandale: menacé d’être renvoyé, Jean-Louis raconte publiquement les agissements des prêtres et les violences perpétrées à l’égard des enfants. Avec trois autres pensionnaires, il témoigne devant un tribunal des actes du surveillant, qui écope finalement d’un an de prison avec sursis.

Une peine trop clémente pour Jean-Louis, qui des années plus tard décide de contacter l’évêché pour rétablir l’exacte vérité à propos de l’institut Marini.

“Il aurait fallu réagir plus tôt”, regrette l’évêque Morerod, qui a récemment décidé d’engager des historiens pour fouiller les archives de l’institut.

"Je ne pardonnerai jamais"

Au cours de leurs recherches les historiens ont retrouvé plusieurs témoignages d’enfants qui, à des époques différentes, décrivent des situations insoutenables au sein de l’institut.

"Autrefois, je pensais que c’étaient des cas de violence individuels, favorisés par un certain contexte. Là, effectivement, je vois bien qu’il y a quelque chose de plus profond, un système qui rend cela possible et facile", reconnaît l'évêque Morerod à présent.

Alors que l’on parle de plus en plus de réparations pour les crimes commis au sein de l’Eglise catholique, les victimes de l’institut Marini refusent toujours d’accorder le pardon à leurs bourreaux, à l’image de Michel. "Je ne pardonnerai jamais, jusqu’à la fin de mes jours."

Découvrez le documentaire consacré à l'institut Marini sur la plateforme RMC BFM Play.

Elisa Fernandez