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Accès aux soins, discriminations: la prison pour les détenus transgenres "c'est l'isolement dans l'isolement"

Cellule de la prison de Fleury-Mérogis qui dispose d'un quartier réservé aux femmes transgenres (image d'illustration)

Cellule de la prison de Fleury-Mérogis qui dispose d'un quartier réservé aux femmes transgenres (image d'illustration) - AFP

Ce vendredi marque la Journée internationale de la visibilité transgenre créée pour sensibiliser face aux discriminations que ces personnes subissent au quotidien. Dans les prisons aussi, les personnes transgenres, en particulier les femmes, sont ostracisées.

Un nombre de places très limité. En France, une seule prison dispose d'un quartier pour femmes transgenres: la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Par ailleurs, souvent stigmatisées, ces détenues sont la plupart du temps placées à l'isolement, car pour assurer leur protection, l'administration juge souvent qu'elles ne peuvent être incarcérées ni avec les hommes, ni avec les femmes.

Difficile de savoir avec précision combien représente la population transgenre dans les prisons françaises. Il n'y a pas de chiffres officiels, à jour, rendus publics par l'administration. En 2019, la Direction de l'administration pénitentiaire a indiqué qu'il y avait entre 25 et 30 personnes détenues transgenres incarcérées dans nos prisons.

Mais cette donnée est à prendre avec des pincettes, puisqu'elle se base sur la perception que l'administration a des personnes transgenres, comme l'explique Pauline Petitot, chargée d'enquête au sein de l'Observatoire International des prisons.

"C'est sans doute un chiffre qui est très en deçà de la réalité, donc à prendre avec des réserves, notamment parce que les hommes transgenres sont difficilement identifiés."

Et pour cause, les hommes transgenres sont souvent perçus comme des femmes lesbiennes et sont donc placés dans le quartier des femmes, affirme la chargée d'enquête.

Elle a voulu mettre fin à ses jours

Lindsay avait entrepris une transition depuis près de trois ans quand elle a été incarcérée à la maison d'arrêt de Beauvais (Oise), en février 2022. Après avoir démarré des démarches administratives pour changer d'identité, elle souhaitait désormais être appelée par son prénom, et non plus par son ancien nom, masculin.

Pourtant, dès son incarcération, elle a été affectée dans le quartier pour hommes avant d'être finalement placée à l'isolement - toujours chez les hommes - après avoir été victime de faits de violences et de viol, comme l'explique son avocate Me Marie Dufoyer.

"Ma cliente n'a eu de cesse de contester cette affectation et de solliciter la remise de ses effets personnels féminins (prothèses mammaires ou sous-vêtements) mais en vain, la conduisant à être dans une perpétuelle lutte à l'égard de l'administration pénitentiaire et à vouloir mettre fin à ses jours".

Car le placement à l'isolement empêche ces personnes de pouvoir travailler et participer aux activités comme les autres détenus. "C'est l'isolement dans l'isolement", confie Me Dufoyer.

Mais ce n'est pas la seule difficulté à laquelle une femme détenue transgenre doit faire face. Déjà mises à l'écart, elles peuvent faire l'objet d'insultes, de moqueries ou de mégenrage de la part du personnel pénitentiaire "en se faisant appeler monsieur au lieu de madame, par exemple", comme l'explique Me Petitot.

En 2010, le Contrôleur général des lieux de privation a émis pour la première fois un avis sur le sujet. À l’époque, et sur la base de témoignages, cette autorité administrative indépendante formulait plusieurs demandes, comme de "faire bénéficier les personnes transsexuelles, tout au long du parcours de soins, d’un accompagnement par une équipe médicale de référence clairement identifiée" ou encore de "veiller à ce que leur intégrité physique soit protégée sans que cela conduise nécessairement au placement à l’isolement" ainsi qu'à "faire respecter le droit à l’intimité et à la vie privée."

Des recommandations répétées par le Contrôleur général dans un avis plus récent daté de septembre 2021. "Une des premières difficultés que rencontre une personne transgenre en arrivant en prison, c’est d’être affectée à l’endroit où elle souhaite être", reconnaissait toujours Dominique Simonnot dans Libération.

Des difficultés au quotidien

Au-delà des propos transphobes, le quotidien des détenus transgenres est parfois rythmé par les complications liées à leur transition. Elles ont notamment du mal à recevoir leur courrier en raison de leur nouvelle identité.

"L'administration pénitentiaire ne lui remet que quand c'est à son nom de naissance", indique la chargée d'enquête.

Le moment des fouilles est également problématique, car le principe qui est appliqué est que les détenus sont fouillés par une personne du même sexe anatomique.

"Une femme transgenre qui n'a pas eu d'opération sera fouillée par un homme, donc ça pose problème."

Pour ce qui est du traitement hormonal qu'elles doivent suivre afin de poursuivre leur transition, c'est un nouveau parcours du combattant. Si théoriquement, elles y ont accès, en pratique, c'est très compliqué. "De manière générale, l'accès aux soins en détention n'est pas facile donc ce sont des protocoles semés d'embûches avec des rendez-vous médicaux reportés et des traitements qui ne leur sont jamais remis", explique Pauline Petitot.

Deux leviers d'amélioration possible

Pour pouvoir adapter au mieux les conditions de détention de ces personnes détenues transgenres, la chargée d'enquête de l'Observatoire Internationale des Prisons note deux points d'amélioration.

Le premier réside dans une meilleure formation du personnel pénitentiaire "qui ne connaît pas et ne sait pas bien appréhender la transidentité". L'autre point important, selon Pauline Petitot, c'est de mettre fin à l'isolement de ces personnes.

"La Cour européenne des droits de l'Homme dit que le respect de la dignité humaine commence par prendre en compte le sexe de la personne telle qu'elle se définit, sans avoir eu recours à une opération de chirurgicale".

Ce que demandait Lindsay, face à un système rigide dans l'application de ses règles.

Alix Mancel