Affaire Bénédicte Belair: six ans après sa mort, comment l'enquête a-t-elle rebondi?

Sylvaine Grévin (à gauche) se bat pour que l'enquête sur la mort de sa sœur Bénédicte Belair (sur la photo) se poursuive. - Delphine Herrou (Quintin, Côtes d'Armor) - DR
"Après sa mort, on a cherché à l'invisibiliser." Maintenant six ans que Sylvaine Grévin se bat pour comprendre ce qui est réellement arrivé à sa sœur, Bénédicte Belair, retrouvée morte à son domicile de Pont-Sainte-Maxence dans l'Oise en 2016.
Après des mois de lutte de Sylvaine Grévin avec l'institution judiciaire, l'enquête a connu en ce début d'année des avancées notables, avec la mise en examen de l'ex-compagnon de la victime pour "violences volontaires", ainsi que l'ouverture de deux enquêtes à l'encontre de gendarmes pour leur rôle trouble dans les investigations.
Selon nos informations, la sœur de la victime et ses avocats ont récemment saisi l'Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) afin de demander une enquête sur la situation de la brigade de gendarmerie en question.
"Je me battrai jusqu'au bout pour déterminer la responsabilité des uns et des autres", commente Sylvaine Grévin auprès de RMC Crime.
"Le ciel nous est tombé sur la tête"
Le 4 avril 2017, le compagnon de Bénédicte Belair, femme de 55 ans, contacte la gendarmerie de Pont-Sainte-Maxence pour déclarer qu'il vient de retrouver sa compagne sans vie, dans leur salon.
À l'époque, une enquête est ouverte pour "recherche des causes de la mort". Mais le dossier est classé sans suite seulement un mois après le décès, concluant à une mort accidentelle liée à une chute, malgré les multiples lésions retrouvées sur le corps. Selon le parquet, la chute aurait eu lieu dans un contexte d'alcoolisation de la victime. "Le ciel nous est tombé sur la tête", commente sa sœur, qui a par la suite repris le dossier de fond en comble. "Rien n'avait été fait", déplore-t-elle.
Ce qui l'interpelle particulièrement, c'est que les investigations ne semblent pas prêter attention au contexte de violences conjugales à propos duquel Bénédicte Belair avait donné l'alerte de son vivant, explique-t-elle, violences pour lesquelles il avait déjà été condamné en 2012.
"Les vérifications de l'emploi du temps de son compagnon qui avaient été faites étaient sommaires. L'estimation de l'heure de la mort avait aussi été faite au pied levé. Il était sensé être au travail à cette heure-là, donc ça ne pouvait pas être lui", raconte l'avocate de Sylvaine Grévin, Me Célia Chauffray.
Des investigations qui s'enlisent
Afin que l'histoire de sa sœur et les circonstances troubles de sa mort ne finissent pas aux oubliettes, elle décide de déposer une plainte pour "homicide" en se constituant partie civile en novembre, entraînant la réouverture de l'enquête début janvier 2018.
La nouvelle fait renaître l'espoir parmi les proches de Bénédicte Belair. Il est cependant de courte durée, puisqu'ils s'aperçoivent rapidement que les investigations ne progressent pas. Et lorsque Célia Chauffray et son confrère Olivier Morice commencent à intervenir sur le dossier, fin 2019, ils ne peuvent que constater l'enlisement de l'enquête, deux ans après son ouverture.
"La juge d'instruction était rétive à faire avancer ce dossier, déjà marqué par des dysfonctionnements majeurs", résume l'avocate.
Des scellés détruits pendant l'enquête
Parmi les "dysfonctionnements" que Célia Chauffray évoque, l'un a valu à l'Etat d'être condamné pour faute lourde en 2021. Et pour cause, alors que les investigations venaient de reprendre, presque tous les scellés concernant le dossier de Bénédicte Belair ont été détruits sur autorisation du procureur de Senlis, courant 2018.
"Les gendarmes qui ont demandé l'autorisation pour détruire ces scellés étaient aussi chargés de la commission rogatoire (c'est-à-dire qu'ils participaient à l'enquête, NDLR). Il est donc inconcevable qu'ils aient ignoré la réouverture du dossier", pointe Célia Chauffray.
À partir de là, une question ne cesse de tarauder les parties civiles: comment expliquer une telle erreur, alors que l'enquête suivait son cours? Sylvaine Grévin et ses avocats se penchent alors sur le rôle et le profil des gendarmes intervenus sur le dossier.
Un épisode alarmant, dix jours avant le drame
Un épisode en particulier reste en mémoire de Sylvaine Grévin. Dix jours avant sa mort, Bénédicte Belair l'avait contactée pour lui expliquer que son compagnon la violentait à nouveau. Au téléphone, elle détaille ne plus pouvoir sortir de chez elle et indique que l'homme prend également sa voiture pour qu'elle ne puisse pas se déplacer, raconte à présent sa sœur.
Sylvaine Grévin, qui se trouve à l'hôpital au chevet d'une proche, prévient la gendarmerie. Deux gendarmes interviennent au domicile du couple. Ils constatent des blessures sur le visage de Bénédicte Belair, les prennent en photo, puis repartent.
"L'ex-compagnon leur a dit qu'il n'avait rien fait. Ils se sont déplacés, mais ils ne font rien. Aucun recours au procureur", s'indigne sa sœur.
Et lorsque la victime est retrouvée morte à son domicile, c'est encore une fois l'un des deux gendarmes qui est amené à intervenir. En creusant dans son dossier, Sylvaine Grévin et son avocate disent avoir fait des constats aberrants. L'homme a lui-même déjà été condamné pour violences conjugales avant d'être radié pour malversation grave en juin 2022.
Harcèlement sur Twitter
Il ne s'arrête pour autant pas là, puisqu'il se met également à prendre à partie la sœur de Bénédicte Belair sur Twitter, se dissimulant sous le pseudo "Le Major". "Il semblait très bien connaître le dossier. On a fait une demande au juge d'instruction pour identifier la personne, et on a découvert que c'était lui."
En mars, une enquête préliminaire a été ouverte à l'encontre de ce gendarme pour "non-assistance à personne en danger" pour n'avoir rien fait suite à son intervention, quelques jours avant le drame.
Dans le dossier, un autre gendarme est visé par une information judiciaire à Senlis, soupçonné d'avoir eu des contacts avec le mis en cause et d'avoir produit de faux procès-verbaux. Selon nos informations, les avocats de Sylvaine Grévin viennent de saisir l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) à propos de la situation de la brigade de Pont-Sainte-Maxence.
Si l'enquête a pu rebondir, c'est en grande partie parce que Sylvaine Grévin n'a jamais baissé les bras. Mesure extrêmement rare, la juge d'instruction en charge de l'enquête sur la mort de Bénédicte Belair a été dessaisie du dossier en janvier 2022, permettant de donner une nouvelle impulsion aux investigations.
"Pas d'élément suffisant au dossier"
Mis en examen en janvier pour "violences volontaires sur conjoint", son ex-compagnon a été laissé libre et nie les faits qui lui sont reprochés. Contactée par RMC Crime, sa défense avance les expertises qui ont été faites aux premières heures de l'enquête, expliquant que Bénédicte Belair avait succombé après un traumatisme crânien lié à une chute.
"L'ensemble des magistrats instructeurs et des experts se sont prononcés dans ce sens. Il n'y a aucun élément suffisant dans ce dossier pour qu'il soit mis en examen pour homicide", déclare Me Pauline Blet.
"C'est une procédure douloureuse, qui l'a privé de son droit au deuil. Mais on espère une décision prochainement, nous faisons confiance à la justice", ajoute-t-elle.
Si elles reconnaissent une avancée avec cette mise en examen, les parties civiles ne comprennent pas que l'homme est poursuivi pour "violences volontaires" plutôt que pour "homicide", s'exposant à une peine plus légère. Célia Chauffray dénonce une "décision incompréhensible", tandis que sa cliente estime que "tout était là pour démontrer son implication dans le drame".
3919: le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence
Le "3919", "Violence Femmes Info", est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...). C'est gratuit et anonyme. Il propose une écoute, informe et oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. Ce numéro est géré par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).