Mort de Gilles Perrault: en 1978, l'auteur défendait Christian Ranucci dans "Le Pull-over rouge"

Gilles Perrault, auteur de L'ombre de Christian Ranucci (Fayard), sur le plateau de l'émission Vol de Nuit de TF1, le 26 septembre 2006 à Paris - JACQUES DEMARTHON © 2019 AFP
Il disait avoir été amené à travailler sur l'affaire Ranucci "par hasard", et son nom y est toujours associé aujourd'hui. Le journaliste Gilles Perrault s'est éteint dans la nuit de mercredi à jeudi à l'âge de 92 ans, a annoncé sa famille auprès de l'AFP.
De lui, on retient donc notamment Le Pull-over rouge, livre enquête à décharge envers Christian Ranucci, tenu pour responsable du meurtre de la jeune Marie-Dolorès Rambla en 1974, et à charge contre les services judiciaires qui ont centré leurs doutes sur un unique suspect tout au long de l'enquête, conduisant à sa condamnation à mort.
"Au moment des faits, c'était pour moi un fait divers atroce, c'est tout. [...] Un an après l'exécution, des amis m'ont parlé de l'affaire, en me disant que ce n'était pas net, qu'il y avait eu des choses bizarres", à l'image de témoignages escamotés, racontait Gilles Perrault en 1985 dans l'émission Histoire d'un jour, expliquant les débuts de son enquête.
"Ce que j'ai découvert a dépassé tout ce que j'avais pu imaginer, c'est là que j'ai décidé de le raconter", poursuivait-il.
Des aveux, puis une rétractation
Le 3 juin 1974, alors qu'elle joue avec son petit frère devant chez elle, dans la cité Sainte-Agnès à Marseille (Bouches-du-Rhône), Marie-Dolorès Rambla, 8 ans, se fait kidnapper par un individu dans une voiture grise qui prétexte avoir perdu son chien. Deux heures plus tard, après l'avoir cherchée dans les environs en vain, les parents de la petite fille préviennent la police qui ouvre une enquête et diffuse un appel à témoins.
En parallèle, à une vingtaine de kilomètres de Marseille, un automobiliste grille un stop et provoque un accident. Alors qu'il prend la fuite, des témoins suivent sa trace et le voient, un peu plus loin, quitter son véhicule et s'éloigner, portant un paquet volumineux dans les bras.
Le corps de la petite fille finit par être retrouvé près des lieux de l'accident, son crâne fracassé à coups de pierre. Non loin, les enquêteurs découvrent également un pull-over rouge. Les personnes ayant assisté à l'accident relatent ce dont ils ont été témoins plus tôt dans la journée et désignent Christian Ranucci, 20 ans, comme ayant un comportement suspect. Interrogé, celui-ci finira par avouer le meurtre de Marie-Dolorès Rambla. Au cours de l'enquête, il se rétractera pourtant, déclarant avoir été victime des méthodes arbitraires des policiers lors de sa garde à vue.
Malgré ces dénégations, Christian Ranucci sera jugé coupable et condamné à mort. Le 28 juillet 1976, il est guillotinné dans la cour de la prison des Beaumettes à Marseille.
La peine de mort en question
C'est donc en 1977 que Gilles Perrault commence à s'intéresser de près à l'affaire. Certains détails en particulier l'interpellent: deux témoins de l'enlèvement - le petit frère de Marie-Dolorès Rambla ainsi qu'un garagiste - évoquent une voiture grise de la marque Simca, alors que Christian Ranucci circulait à bord d'une Peugeot 307. De plus, confrontés à des portraits, ils ne reconnaissent pas formellement le suspect comme étant l'auteur des faits. Enfin, le pull-over rouge retrouvé sur les lieux du crime semblait trop grand pour le jeune homme.
Lors de sa sortie en 1978, le livre, qui dénonce largement les manquements de l'enquête, crée la polémique, divisant l'opinion publique sur la culpabilité de Christian Ranucci. Robert Badinter lui-même avait pris position sur le sujet en 1981 devant l'Assemblée nationale, critiquant la décision de le condamner à mort alors même que "trop d'interrogations" existaient à l'époque du procès sur son implication.
Nul doute que Le Pull-over rouge a eu une certaine influence lors des débats sur l'abolition de la peine de mort, finalement adoptée la même année.
"Ce qui est important, c'est que la justice se resaisisse du dossier, et qu'elle prononce un jugement cette fois-ci sur un dossier complet", plaidait-il en 1981 sur le plateau d'Antenne 2, appelant à la réhabilitation post-mortem de Christian Ranucci. Jusqu'à présent, sa demande est restée lettre morte, toutes les requêtes de révision du procès formulées ayant été rejetées.