"Un rendez-vous manqué": 22 ans après, la justice a-t-elle tiré les leçons de l'affaire d'Outreau?

Une commission parlementaire avait été mise en place en 2005 après le "fiasco" judiciaire de l'affaire d'Outreau. - PHILIPPE HUGUEN / AFP
Vingt-deux ans après le début de l'affaire qui restera gravée comme l'un des exemples les plus emblématiques d'erreurs judiciaires françaises, un docu-fiction en quatre épisodes retraçant les travers de l'enquête et le mécanisme dans lequel se sont retrouvées piégées 13 personnes innocentes est diffusé par France 2.
Deux procès, douze enfants victimes, quatre coupables et treize innocents... et une enquête qui, aux mains du juge Burgaud, relève d'un large "fiasco". Des années après, les corps policiers et judiciaires ont-ils appris de leurs erreurs?
"De mon point de vue, pas grand-chose n'a changé", estime Me Hubert Delarue, l'avocat d'Alain Marécaux, l'un des adultes accusés à tort à l'époque.
18 mises en examen
En février 2001, le parquet de Saint-Omer ouvre une information judiciaire après les déclarations des quatre enfants de la famille Delay: ces derniers disent être régulièrement agressés et violés par plusieurs personnes de leur entourage, dont des voisins et des amis de leurs parents.
Face à ces témoignages, les enquêteurs, menés par le jeune juge d'instruction Fabrice Burgaud, se persuadent de l'existence d'un réseau pédophile à Outreau, dans le Pas-de-Calais. Entre 2001 et 2003, ce sont donc 18 personnes qui sont mises en examen et placées en détention provisoire, soupçonnées de prendre part à ces exactions.
En première instance, alors que 17 accusés comparaissent, coup de théâtre: la mère des victimes, Myriam Badaoui, revient sur ses déclarations, avoue avoir manipulé ses enfants et tout inventé quant au réseau de pédophilie. Au terme de deux procès, seuls les parents Delay et un couple de voisins sont reconnus coupables. Les 13 autres accusés sont finalement acquittés.
"Tout le monde a perdu pied"
Qu'est-ce qui a amené le juge Burgaud et les enquêteurs à n'enquêter qu'à charge à l'encontre des personnes qu'on leur avait désignées? Comment expliquer que 13 innocents se soient retrouvés derrière les barreaux pendant plusieurs années?
"C'est la fusée judiciaire qui a dysfonctionné à tous les étages", détaille Me Hervé Corbanesi, avocat de Pierre Martel, autre acquitté d'Outreau. "D'abord dans la façon dont on a recueilli la parole des enfants, puis à cause de l'emballement médiatique et la saisine d'un juge immature qui se retrouvait pour la première fois à la tête d'un dossier d'une telle ampleur."
Le contexte criminel de l'époque met aussi le feu aux poudres. "L'an 2001, c'est aussi l’affaire Dutroux. Boulogne-sur-Mer est proche de la frontière belge, et tout s’emballe autour de ce fantasme de réseau de pédophilie organisé", poursuit l'avocat. "Tout le monde a perdu pied."
Les leçons de la commission parlementaire
Suite aux acquittements, l'Assemblée nationale décide de lancer en décembre 2005 une commission d'enquête parlementaire "chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire d'Outreau".
Après plusieurs mois d'enquête, la commission rend 59 pistes de réforme afin que la justice ne commette plus d'erreurs d'une telle ampleur. Mais selon Me Hubert Delarue, "la justice n'a pas été au rendez-vous de son histoire".
"La loi Clément de 2007 doit faire 3 ou 4 feuillets. Elle a dû retenir 5% de toutes les propositions de loi mises en avant par le travail considérable d’Outreau. Il n’en reste pas grand-chose, malheureusement", estime-t-il, tout comme son confrère Hervé Corbanesi.
Seule avancée de cette loi, selon eux: la possibilité de co-saisine de deux ou trois juges d'instruction sur certains dossiers sensibles afin d'éviter des erreurs de jugement. Les premières années suivant les procès d'Outreau, les juges semblaient plus "prudents" sur les affaires de moeurs, remarque également Hubert Delarue. "Ils n'avaient pas envie de devenir de nouveaux Burgaud." Une attention qui, d'après
lui, s'est depuis érodée.
"Réformer" la justice pénale
Parmi les acquittés d'Outreau, certains ont accepté de participer à la série diffusée dès ce mardi soir sur France 2. Alain Marécaux, huissier de justice accusé à tort, est revenu sur l'affaire dans les colonnes du Parisien ce mardi, et évoque ses espoirs déçus de voir la justice réformée après le procès.
"Je me disais qu'on allait réformer cette justice pénale qui n'a pas fonctionné. Mais on n'a eu que des réformettes", déplore-t-il.
"On peut craindre que ce qui s'est produit il y a vingt ans arrive encore, même avec la collégialité de l'intruction. En matière pénale, il vaut mieux ne pas avoir affaire à la justice", conclut-il auprès de nos confrères.