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"Mythique": l'ex-patron de la PJ de Paris raconte l'histoire du 36 quai des Orfèvres dans un livre

Histoire du 36, quai des Orfèvres retrace les évolutions de l'institution mythique. L'ouvrage paraît dans une édition actualisée, abordant notamment les attentats de Paris et l'affaire du Grêlé.

"En montant ces fameuses 148 marches si souvent évoquées par Simenon, j’ai le cœur un peu battant. J’ai conscience d’entrer dans le cœur de cette mythique Police judiciaire." Le 36, quai des Orfèvres, Claude Cancès le connaît comme sa poche pour y avoir travaillé de longues années, en tant que simple officier à ses débuts puis comme directeur de la Police judiciaire (PJ) de Paris.

Son expertise, sa connaissance des lieux et des dossiers qui se sont résolus entre ces murs, il les a rassemblés en 2009 dans un livre devenu une référence en la matière: Histoire du 36, quai des Orfèvres, republié dans une version actualisée avec des affaires récentes au mois de février.

Rien ne destinait Claude Cancès à entrer dans la police. Son bac en poche, le jeune homme qui n'est "pas très porté sur les études" ne se voit pas aller à l'université, suivre un parcours d'étudiant classique, raconte-t-il. Il trouve une place de surveillant dans un collège non loin de Tarascon, dans les Bouches-du-Rhône. Là, il voit passer une annonce de recrutement d'officiers de police.

"Je vais à Paris pour faire ce métier, alors qu’à 23 ans, pour moi, le flic, c’est un empêcheur de tourner en rond. Mais il fallait que je bosse. Et je dis souvent que ce sont le hasard et la nécessité qui ont guidé mes pas vers le 36, quai des Orfèvres. Je suis tombé dans la marmite pour ne plus jamais en ressortir", explique-t-il, le sourire aux lèvres.

"L'âme du 36, c'était quelque chose"

Loin de l'image des bureaux dans lesquels George Simenon - que l'auteur cite inévitablement lorsqu'il parle du "36" - mettait en scène le commissaire Maigret dans ses romans, Claude Cancès décrit les locaux qu'il découvre au début des années 1960 comme plutôt insalubres.

"Quand vous montiez ces escaliers crados, les murs suintaient la poussière, on sentait la fumée des odeurs de cigarette… L'âme du 36, c’était quelque chose."

À présent que les officiers de police ont quitté l'an dernier les bâtiments mythiques du quai pour s'installer au 36, Bastion des Orfèvres, "ils travaillent dans des conditions idéales... même si on a tous versé une larme!"

Un passage à la brigade mondaine

À l'issue de son premier entretien, le voilà repartant équipé de son arme de service et de cartouches, "harnaché comme pas possible". Il intègre d'abord la 4e Brigade territoriale avant d'être affecté à la brigade mondaine, où il a notamment pour mission de lutter contre les réseaux de prostitution. Seules "deux ou trois mères maquerelles étaient couvertes", confie-t-il.

"Madame Claude, notamment, nous donnait des renseignements sur les personnalités françaises et étrangères qui fréquentaient ses filles."

Passant de brigade en brigade et gravissant les échelons, il est finalement nommé directeur de la PJ. Pendant près de 40 ans, avant de prendre sa retraite en 1998, Claude Cancès a arpenté les couloirs et monté les marches du 36, quai des Orfèvres, a vu passer en son sein de grands criminels ayant sévi dans la capitale, de Guy Georges à Thierry Paulin.

Les mémoires du 36

Parmi tous les dossiers passés entre ses mains, certains le marquent particulièrement. Comme la mort de ce collègue qui lui est cher, Jacques Capela, abattu lors d'une prise d'otages à l'ambassade d'Irak sur laquelle il n'était pas censé intervenir. "Il a rejoint ses copains sur le terrain alors qu’il n’avait rien à y faire. C’est ça, la famille" des flics du 36.

Autre prise d'otages qui lui reste en mémoire: celle de l'école maternelle de Neuilly, en mai 1993. Une affaire que Claude Cancès qualifie d'"inédite" pour l'époque: "Dans ces affaires c’est important de connaître l’individu, de connaître ses intentions. Là, on ne l'identifiera qu'à la fin." L'homme qui se fait appeler "Human Bomb" est arrivé bardé d'explosifs et les équipes d'intervention se rendent rapidement compte que son dispositif est à même de faire sauter tout l'établissement, rien qu'en relâchant un bouton sur lequel il garde son pouce enfoncé.

"Pendant 46 heures, notre crainte à tous, c’est que sous l’effet de la fatigue, il lâche le bouton. Là, c’était la catastrophe". Il sera finalement tué sans avoir fait aucune victime lors d'un assaut du Raid, après s'être finalement endormi.

"Les grands flics, ce sont ceux qui partent vers l'inconnu"

Régulièrement, Claude Cancès poursuit son travail d'actualisation de son Histoire du 36. Dans la version publiée récemment, il aborde notamment l'affaire du Grêlé, ce gendarme identifié pour le meurtre de la petite Cécile Bloch 24 ans après le drame, mais aussi les attentats du Bataclan.

"Je le dis: les grands flics, ce sont ceux qui partent suite à un appel 17 sur les lieux d’un meurtre et qui ne savent pas ce qu’ils vont y trouver. Et pour le Bataclan, les premiers intervenants, ce sont un commissaire de la BAC et un brigadier qui patrouillaient et ont entendu dans la radio de police qu’il se passait quelque chose au Bataclan. Ils partent vers l’inconnu, ils pénètrent à poil dans la salle, sans gilet par balles, sans rien, et tuent un terroriste."

Questionné sur l'avenir de la PJ, alors qu'une réforme est en cours, menée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, Claude Cancès redoute davantage d'inconvénients que d'avantages à voir entre les mains des officiers de police judiciaire des tâches supplémentaires. "La police judiciaire, c’est aussi un travail de longue haleine. Il est évident que si on l'implique plus au niveau local, on va les détacher de cette mentalité."

Elisa Fernandez