"Il n’y a pas un profil idéal du meurtrier": les confidences de l'ex-procureur Jacques Dallest sur le traitement des cold cases
Le meurtre de la petite Maëlys, l'affaire Guérini et l'assassinat du préfet Erignac ont tous un point commun: Jacques Dallest a laissé son empreinte sur ces dossiers, soit en tant que magistrat instructeur, soit en tant que procureur. Mais c'est aux crimes non élucidés qu'il dédie son dernier livre, Cold cases, un magistrat enquête, qui paraît ce jeudi aux éditions Mareuil.
Ex-président du groupe de travail sur les affaires non résolues - qui a abouti à la création du pôle de Nanterre en mars 2022 -, il explique dans ce nouvel ouvrage comment sont menées les investigations sur des dossiers parfois vieux de plusieurs dizaines d'années.
Auprès de RMC Crime, Jacques Dallest revient sur ces crimes particulièrement difficiles à résoudre.
RMC CRIME. Vous avez déjà écrit des livres sur votre profession et les affaires qui ont marqué votre carrière. Pourquoi avoir choisi de consacrer votre dernier ouvrage aux cold cases?
Jacques Dallest. J’ai été juge d’instruction et j’ai malheureusement connu des affaires non élucidées. J’étais en poste pendant sept ans à Lyon et j’en suis parti en laissant 10 affaires de crimes de sang non résolues, à l’époque où l’on ne savait pas exploiter l’ADN.
Les crimes, les viols et les disparitions sont les affaires les plus graves que l’on ait à traiter. Et souvent, on a tendance à les laisser de côté parce qu’on est pris par les urgences du quotidien. Je pense toujours aux familles qui sont dans la souffrance. Même s’il s’agit d’affaires anciennes. J’espère que la 'culture cold case' se diffusera petit à petit chez tous les juges d’instruction de France.
Au fond, qu'est-ce qu'un "cold case"?
Si l’on voulait traduire ça en Français, on parlerait de crimes non élucidés. Ça peut être des affaires qui sont toujours en cours, comme l’affaire de la tuerie de Chevaline en 2012. Il y a aussi des affaires classées et qu’on peut peut-être rouvrir. Ça, c’est un travail d’exhumation des dossiers pour voir si on peut re-analyser des scellés. La troisième catégorie, ce sont les affaires prescrites qu’on ne pourra pas rouvrir, sauf si l’affaire se rattache à un tueur en série.
Qu'est-ce qui fait que certains crimes sont particulièrement complexes à résoudre?
Il y a à peu près 20% de crimes non résolus chaque année en France. Dans la plupart des dossiers de meurtre, l’auteur est identifié, on sait qui c’est: il se constitue prisonnier ou l’auteur est très vite identifié. Mais il y a un certain nombre d’affaires où l’auteur a prémédité son geste, ne laisse pas de traces, ou alors a de la chance et il n’y a pas d’ADN ni de témoins. Et puis il peut y avoir aussi des crimes gratuits: il est arrivé que des gens tuent pour le plaisir. Là, ils peuvent être difficiles à identifier.
Surtout, il n’y a pas un profil idéal du meurtrier, ça peut être n’importe qui: un bon père de famille, un voisin tranquille qui à un moment a un coup de sang, ou bien un tueur en série.
Sait-on mieux élucider les affaires criminelles aujourd'hui?
On a commencé à utiliser l’ADN dans les années 1990. Aujourd’hui, la police technique et scientifique s’est bien développée. Il y a de grands spécialistes qui peuvent analyser les micro-traces que le meurtrier laisse derrière lui.
C'est un travail sophistiqué qui se développe, mais il reste une exigence: que l’on ait bien conservé les scellés, c’est-à-dire les pièces à conviction. Peut-être qu’on aura, 20 ou 30 ans après, à réexaminer un vêtement, un bout de tissu qui porte de l’ADN. Des années plus tard, s’il a été bien conservé, il pourra peut-être parler et indiquer le nom de l’assassin.
Quid des affaires de disparition?
J’appelle ça 'l'angle mort des cold cases': c’est très compliqué. On peut disparaître volontairement, par accident, par suicide, mais aussi par mort criminelle. Un certain nombre de disparition sont manifestement des crimes, comme les affaires d’Estelle Mouzin ou de Marion Wagon, mais pour lesquels on n’a pas de corps.
Quand on retrouve des restes humains, difficile de savoir de quoi est morte la personne. Les familles sont souvent persuadées que leurs proches ont été victimes d'une mauvaise rencontre, mais ça peut aussi être un suicide ou un accident.
Le crime parfait existe-t-il?
Si le meurtrier a tué la personne, l’a enterrée et l’a fait disparaître, oui, il ne sera jamais identifié. Sauf si, plus tard, il commet à nouveau un crime. On a déjà vu des tueurs en série qui parviennent à faire disparaître le corps de la victime.
Il y a-t-il une affaire qui vous a particulièrement marqué?
C’était en 1993, j’étais juge d’instruction à Lyon depuis déjà 6 ans. J’ai été saisi du viol et du meurtre d’une lycéenne de 17 ans. En pleine journée, elle quittait le lycée, elle prenait son bus puis descendait un chemin broussailleux. Elle a fait une mauvaise rencontre et a été violée et étranglée.
Je me suis beaucoup investi au début sur cette enquête. Mais un an après, j’ai été muté, je suis parti pour un poste de procureur de la République. Le dossier n’a pas été élucidé, il a été clôturé en 2007. Mais il a pu être rouvert en 2015 et à ma connaissance, l'enquête est toujours en cours à Lyon. Est-ce qu’on pourra confondre l’auteur? Est-ce qu’il est toujours vivant? C’est vraiment une affaire qui m’a ému.
On a un sentiment d’échec. C’était aussi une époque où l’on clôturait trop vite les affaires. Aujourd’hui, on les garde ouvertes beaucoup plus longtemps: il faut toujours rester optimiste et ne pas s’avouer vaincu.
Le pôle "cold cases" de Nanterre constitue-t-il un nouvel espoir?
Ce qui est bien, c’est que des juges d’instruction et des procureurs sont maintenant dédiés à ces affaires. C’est une avancée notable d’avoir des gens familiariés aux nouvelles techniques. Il y a une façon d’appréhender ces dossiers, de les retravailler que ces enquêteurs connaissent et qu’un juge d’instruction ordinaire ne connaît pas forcément.
Cette relecture complète de l’affaire, ce réexamen du dossier est aussi un espoir pour les familles. Et si au bout du compte, l’affaire n’est pas élucidée, il faudra expliquer aux familles que tout a été fait. Je pense qu’elles le comprendront.
Le livre de Jacques Dallest, Cold cases, un magistrat enquête, est disponible dès ce jeudi aux éditions Mareuil.