"Pas le droit de lâcher": après avoir résolu deux cold cases, un enquêteur se confie dans un livre

Raphaël Nedilko sort "L'Obstiné" aux éditions StudioFact, mercredi 22 mars 2023. - RMC Crime
Il y a les affaires du quotidien, les urgences à traiter en priorité, un homicide brutal à résoudre rapidement, une disparition inquiétante à investiguer sur-le-champ. Et puis il y en a d'autres, de vieux dossiers non élucidés qui traînent parfois depuis plusieurs années dans les fonds des tiroirs des commissariats et des gendarmeries. De sombres histoires auxquelles les enquêteurs n'ont pas forcément assez de temps à accorder.
Reprendre une de ces affaires, repartir à zéro, réinterroger proches et témoins... Raphaël Nedilko l'a fait à deux reprises alors qu'il était officier de police judiciaire à Dijon, en Côte-d'Or. Parce que personne ne s'en préoccupait malgré les demandes répétées des familles des victimes, il a décidé de prendre en main, entre 2008 et 2016, l'enquête sur les meurtres de deux des "disparus de l'A6": Christelle Maillery en 1986 au Creusot et Christelle Blétry en 1996 à Blanzy, en Saône-et-Loire.
Son combat aux côtés des familles des deux Christelle, il le raconte au sein d'un premier livre, L'Obstiné, sorti aux éditions StudioFact mercredi. "En plus de dossiers criminels récents, j’ai dû développer une activité permanente sur ces dossiers non résolus pour les amener jusqu’à une résolution", explique Raphaël Nedilko auprès de RMC Crime.
Des ratés de l'enquête à la création d'un cold case
C'est en janvier 2008 que l'officier de police quitte le 36 Quai des Orfèvres pour poser ses valises à Dijon. Là, les deux affaires non résolues retiennent son attention. Deux meurtres violents qui, le temps passant, se sont transformés en cold cases.
Pourquoi? Pour expliquer ce phénomène, l'auteur évoque l'existence de certains criminels très scrupuleux, attentifs à ne pas laisser de traces derrière eux, mais aussi les potentiels ratés d'une enquête à ses débuts.
"Après les constatations de scène de crime il y a de nombreux actes à réaliser: des auditions de témoins, des enquêtes de voisinage, des relevés d'indices", relate-t-il. "Mes collègues sont formés pour cela mais n’ont pas forcément les bons réflexes, et on peut avoir des trous dans la raquette."
"Avec le temps, une affaire peut très rapidement tomber dans l’oubli judiciaire parce qu’on n’a pas réussi à faire des actes décisifs pour la manifestation de la vérité", développe-t-il.
"Donner plus que ce que notre institution demande"
Des années après, malgré les critiques au sein de son commissariat, Raphaël Nedilko reprend de fond en comble les dossiers, réinterroge témoins et acteurs, réexamine chaque hypothèse. Et se rapproche des familles des victimes en se promettant de ne jamais lâcher prise.
"Lorsque je me suis présenté à ces familles, j’étais en situation délicate puisque l’institution les avait laissées pour compte depuis pas mal d’années. J'ai dû renouer un lien de confiance et leur promettre que j’allais faire tout ce qui était humainement possible, et leur rendre compte de cette activité-là", raconte-t-il à présent.
Dans l'affaire Christelle Maillery, lycéenne de 16 ans retrouvée morte, poignardée une trentaine de fois dans la cave d'un immeuble voisin du sien, un suspect, Jean-Pierre Mura, est finalement identifié grâce au témoignage d'un ancien ami ayant trouvé son comportement étrange à l'époque des faits. Il sera finalement condamné à 20 ans de réclusion criminelle en appel en 2015.
Pour sa part, l'auteur du meurtre de Christelle Blétry, autre lycéenne tuée 123 coups de couteau, est identifié grâce à de nouvelles analyses ADN sur les vêtements de la victime, en 2014. Lors du placement en garde à vue de cet homme, Pascal Jardin, Raphaël Nedilko devra redoubler d'efforts pour lui soutirer des aveux, conduisant à sa condamnation à la réclusion à perpétuité en 2018.
Si son investissement a fini par payer dans ces affaires, le policier y a laissé un pan de sa vie personnelle et s'est même séparé de sa compagne. "Ça m’a fait traverser des problèmes personnels et professionnels", reconnaît l'officier de police.
"Parce qu’on fait ça avec cœur et conviction, on se retrouve très rapidement pris au piège de la nécessité de donner plus que ce que notre institution demande", confie-t-il.
Le boulot d'enquêteur, "un travail de terrain"
C'est ce que tend à montrer son livre, explique-t-il: dans L'Obstiné, Raphaël Nedilko n'écrit pas seulement les étapes qui l'ont conduit à élucider ces deux affaires, mais rédige également un puissant plaidoyer pour que les enquêteurs disposent de davantage de moyens pour résoudre ces dossiers anciens. Selon lui, si beaucoup d'enquêteurs aimeraient pouvoir s'y consacrer, ils ne peuvent souvent pas se le permettre, faute de temps.
S'il voit le pôle dédié aux cold cases à Nanterre d'un bon œil, Raphaël Nedilko estime que cette création n'est pas suffisante si l'on veut éviter un nouvel embouteillage.
"Je pense qu’avec le nombre récurrent de dossiers qui vont émerger, il va falloir certainement en arriver à la multiplication de ces pôles sur le territoire", juge-t-il.
"Mais surtout, le travail d’enquêteur, surtout en matière de crimes non résolus, reste un travail de terrain. On aura donc la nécessité d’employer des enquêteurs sur le terrain qui seront le fer de lance du travail mis en place par ces magistrats." D'où l'idée, avance-t-il, de créer des équipes dédiées aux affaires non résolues et composées de gendarmes et de policiers, partout en France.
Et si sa demande aboutit, il n'est pas impossible de voir celui que l'on peut définitivement qualifier d'obstiné figurer parmi les candidats.