Prisons françaises: la maison centrale d'Ensisheim, la prison des longues peines

La maison centrale d'Ensisheim. - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Pour les Alsaciens, "elle fait partie intégrante de la vie de la région". Ayant d'abord abrité un ancien collège de Jésuites au 17e siècle, puis remodelés près de 200 ans plus tard afin d'accueillir des détenus, les hauts murs de la prison d'Ensisheim semblent être là depuis toujours et s'ancrent dans les paysages du Haut-Rhin.
"Comme il y a eu les usines Peugeot dans la région, il y a la maison centrale d'Ensisheim. Elle aussi appartient à la vie de la cité", résume Jean-Paul Bouttier, ancien éducateur et chef du service socio-éducatif au sein de la prison, entre 1980 et 1990.
Alors qu'il a parfois été question de détruire l'établissement pour l'implanter ailleurs, les forces politiques locales se sont toujours prononcées pour son maintien à Ensisheim, explique-t-il encore auprès de RMC Crime. "Aujourd'hui, tout le monde l'a intégrée. Il n'y a plus aucune psychose."
Les relations avec les détenus, "du donnant-donnant"
Pendant dix ans, Jean-Paul Bouttier a arpenté les coursives de cette maison centrale mythique. À ces détenus et aux membres du personnel pénitentiaire qui ont marqué ces années "atypiques", il a dédié un livre composé de portraits et anecdotes écrit après son départ à la retraite, Petite fugue aux oubliettes, publié en 2022 aux éditions L'Harmattan.
Il y évoque entre autres les rapports entre détenus et surveillants, qui pouvaient être plutôt bon enfant. "Pour les grands matchs de foot, le personnel installait des télévisions dans les coursives pour que les détenus puissent regarder. S'ils voulaient voir les matchs suivants, ils devaient avoir un bon comportement. C'est du donnant-donnant."
Pour autant, ces rapports peuvent aussi être beaucoup plus compliqués. Ces dix dernières années, les syndicats du personnel pénitentiaire d'Ensisheim ont souvent manifesté leur colère après des scènes parfois violentes à l'intérieur de la maison centrale.
Revendications syndicales
Certains épisodes leur restent encore en mémoire, à l'image de la prise d'otage d'un surveillant par trois détenus en 2017. L'homme avait fini par être relâché au bout de plusieurs heures, mais l'événement avait suscité la colère du personnel pénitentiaire.
Plus récemment, l'an dernier, cette colère ne semblait pas s'être apaisée: le syndicat FO Justice revendiquait notamment un meilleur encadrement des détenus pouvant présenter, selon eux, un danger supplémentaire pour les membres du personnel.
"Les nombreuses bagarres et règlements de comptes entre détenus, l’étranglement du médecin, les agressions, les insultes et comportements désinvoltes envers le personnel, le désaveu des agents quasi-quotidien vis-à-vis de la population pénale nous montrent que rien est sous contrôle", écrivaient-ils dans un communiqué.
Des détenus condamnés à de longues peines
Contrairement à d'autres structures pénitentiaires, la maison centrale d'Ensisheim n'est pas la plus sécuritaire de toutes. "Quelqu'un qui présenterait un risque d'évasion ne va pas forcément y être emprisonné", commente Jean-Paul Bouttier. En majorité, la prison accueille des détenus criminels condamnés à de longues peines. "Ce sont en général des profils de criminels sexuels, mais pas exclusivement."
Plusieurs grands noms du crime y ont d'ailleurs séjourné, de Francis Heaulme à Michel Fourniret, donnant à Ensisheim la réputation d'accueillir beaucoup de tueurs en série. Plus récemment, Jonathann Daval et Nordahl Lelandais y ont rejoint le "tueur de l'est parisien", Guy Georges.
Selon un décompte récent fourni par l'Observatoire international des Prisons (OIP), la maison centrale accueillait au 1er janvier 195 détenus, pour une capacité de 200 personnes.
Grand nombre des prisonniers qui y sont incarcérés sont des récidivistes, précise Jean-Paul Bouttier. À l'époque où il y a travaillé, "les programmes de prévention et de réinsertion étaient des maillons faibles". "Maintenant, il y a un vrai travail sur le sens de la peine. Ça s'est beaucoup développé dans les prisons françaises", estime-t-il.