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Qu'est-ce qu'un chef de section de recherches, au cœur des enquêtes judiciaire?

La section de recherches de la gendarmerie (image d'illustration)

La section de recherches de la gendarmerie (image d'illustration) - DENIS CHARLET © 2019 AFP

Le chef d'une section de recherches est le rôle central d'une enquête judiciaire. Pendant près de 20 ans, Joël Vaillant a coordonné la police judiciaire dans les plus grandes affaires criminelles françaises. Il explique son métier à hautes responsabilités pour RMC Crime.

"S'engager dans le judiciaire, c'est passionnant, car il s'agit de comprendre ce que souvent, on n'arrive pas à comprendre." Joël Vaillant a consacré sa vie à son métier de chef de la section de recherches et de directeur général de la police judiciaire. La section de recherches est une unité qui a une vocation régionale pour traiter les affaires criminelles les plus importantes et les plus complexes. Quand on l'appelle, son rôle est d'organiser les opérations sur les lieux du crime.

"Quand une personne déclare à une unité de gendarmerie locale qu'elle a trouvé un cadavre, par exemple, mon rôle est de créer un pôle de regroupement d'enquêteurs provisoire, sur place", explique-t-il pour RMC Crime.

En arrivant sur une scène de crime, il installe son poste de commandement au plus près de l’événement qui vient de se jouer, comme dans une caserne de gendarmerie ou des locaux de la mairie, par exemple. Il organise ensuite son équipe d'enquêteurs: "Les premiers intervenants gèlent les lieux, puis, je prends la direction des investigations."

Pour résoudre une affaire criminelle, le gendarme a une organisation bien rodée. Il fait appel à une équipe d'enquêteurs où chaque poste a un rôle défini. Elle est composée d'une équipe en charge des procédures, qui collecte et classe les pièces de procédure, d’un secrétariat, qui reçoit et enregistre tous les appels, d’une équipe logistique et recoupements, de groupes d’enquêteurs toujours formés en binôme avec un gendarme local et un enquêteur d’unité de recherches, d’une équipe de police technique et scientifique qui récolte les indices et les traces, et, enfin, des enquêteurs spécialisés en fonction des besoins. Ça peut être une brigade cynophile, des plongeurs, des spéléologues ou encore des spécialistes des nouvelles technologies. "Le but de cette formation d'équipe est de recueillir un maximum d'informations pour résoudre une affaire. Tout élément peut permettre de résoudre une enquête", précise-t-il.

"J'ai changé le cours de cette enquête"

L'affaire qui a marqué sa carrière est celle des disparus de Mourmelon. "Quand je suis arrivé à la section de recherches de Reims, j'ai été confronté à la disparition d'un jeune auto-stoppeur qui était venu à Mourmelon. C'est là que je découvre qu'il existe dans la région, des militaires qui avaient disparus dans cette zone et dont un avait été retrouvé mort, trois ans plus tôt." Pendant quasiment dix ans, l'enquête va piétiner. Il aura fallu attendre la séquestration et le viol d’un auto-stoppeur, en 1988, pour permettre aux enquêteurs de se lancer sur la piste de l'adjudant-chef Pierre Chanal.

"J'ai changé le cours de cette enquête en partant du postulat de départ qu'on ne privilégie aucune hypothèse, on exclut aucune hypothèse mais on vérifie toutes les hypothèses", se remémore le colonel de gendarmerie.

Le suspect est finalement arrêté et interrogé par Joël Vaillant.

Pour mettre toutes les chances de son côté, le chef de la section de recherches a décidé de se rendre à Quantico, aux États-Unis, dans les locaux du FBI. Pendant son voyage, il apprend notamment le profilage et l'étude comportementale qui amène une personne à parler.

Pour l'interrogatoire de Pierre Chanal, il avoue s'être préparé pendant plus d'une semaine pour poser les bonnes questions. Avec une tactique: poser d'abord les questions dont il connaît les réponses, pour ainsi jauger le "degré de sincérité" de son interlocuteur.

"Je lui ai demandé s'il avait entendu parler des disparus, il a dit qu'il ne savait pas. On l'a ensuite interrogé selon une technique qu'on avait mise en place."

Un interrogatoire est une étape-clé dans une enquête judiciaire. "Il faut avoir des capacités de discernement et le sens de l'observation, car il y a le verbal et le non-verbal à prendre en compte" note le colonel Vaillant.

"Je voulais un métier qui casse la monotonie"

Pour arriver à ce poste à hautes responsabilités, il a gravi tous les échelons. Il a d’abord commencé par être gendarme à Châlons-en-Champagne. "Je voulais un métier qui casse la monotonie", confie-t-il. C'est là qu'il découvre la brigade de recherches qui intervient dans les affaires les plus importantes. Il comprend alors que c'est dans cette voie qu’il veut s'engager.

"A partir de ce moment, l'attrait pour la police judiciaire ne m'a plus quitté."

Il prépare donc le concours pour l'école des Officiers de la Gendarmerie Nationale de Melun et devient ensuite commandant de compagnie.

En 1985, il est affecté à Reims pour prendre le commandement de la section de recherches. Puis, en 1991, il est nommé à la direction générale de la gendarmerie pour coordonner la police judiciaire. "J’avais un double képi, car je coordonnais l’activité de la lutte contre la criminalité et celle de la lutte anti-terroriste." Pour lui, choisir ce métier est un véritable engagement, car il est confronté tous les jours "à la pire facette de notre société".

"Un cerveau, un coeur, des tripes"

Vivre en permanence dans les affaires criminelles peut être lourd et difficile à porter. "Quand on est confronté à des autopsies ou à une scène de crime, surtout quand il s’agit d'un enfant, c’est toujours des moments difficiles. Il faut donc avoir un bon équilibre psychique", confesse-t-il. Au-delà du mental, Joël Vaillant sait aussi qu’il faut être bien entouré.

"Il est important d'avoir autour de soi une famille très stable, parce qu'il vous faut des moments de décompression. Dans mon service, on pratiquait régulièrement le sport et on organisait des soirées festives pour échapper un peu à l’ambiance pesante de notre métier."

En occupant le poste de chef de section de recherches, son métier prend une place encore plus importante dans sa vie. Pour lui, travailler au sein de la police judiciaire nécessite d’être conscient de l'investissement que cela implique. Mais cela ne suffit pas. "Il faut avoir une grande capacité d’observation, une ouverture d’esprit et savoir maîtriser ses émotions." Il résume un bon enquêteur en trois points: "Un cerveau, un coeur, des tripes." Parce que le plus grand danger, selon lui, est "celui qui lutte contre les monstres, car il doit faire attention à ne pas le devenir lui-même".

Alix Mancel