Olivia Ronen ou la défense difficile d’une personne démunie

Olivier Ronen défendait Emile, accusé du meurtre de son compagnon de chambrée - JOEL SAGET © 2019 AFP
"Lorsque je plaide, deux écoutes sont importantes pour moi. La première est celle de la cour, je dois provoquer l'écoute des jurés et des magistrats. Et puis, l'écoute de celui que j'assiste". C'est en 2017 qu'Olivia Ronen, avocate, prend connaissance de l'affaire d'Emile. A l'époque, elle est secrétaire de la Conférence et jeune pénaliste.
"Une fois ma plaidoirie terminée, je suis sensible au fait que mon client puisse se dire 'les dés sont jetés, mais ma parole a été portée'", considère l'avocate. Un soir de permanence, Olivia Ronen rencontre Emile. L'avocate constate le parcours difficile de son client. Il arrive en France après avoir vécu un long moment en Guadeloupe. Une fois arrivé à Paris, il se retrouve rapidement à la rue et tombe dans l'alcoolisme.
Dans ce dossier, l'homme est accusé d'avoir tué son voisin de chambre dans un foyer pour sans domicile fixe. Une altercation a éclaté entre les deux hommes et Emile lui aurait donné deux gifles. Mais, il réfute l'avoir tué.
En parcourant le dossier, elle se rend compte d'autres personnes vivaient dans cette chambre, son client n'était pas le seul à y dormir. Pourtant, ces nombreuses pistes n'ont pas été explorées par les policiers: "Cette affaire a été traitée comme un Cluedo. On a fait le postulat que le coupable était dans telle pièce, à tel moment, avec telle arme, sans être capable de dire avec précision pourquoi on faisait ces hypothèses", juge-t-elle.
Un dossier négligé par les enquêteurs selon l'avocate
Le dossier d'Emile est longtemps resté à l'instruction. Au lieu d'être traité en 18 mois, ça s'est étalé sur deux ans et demi. Pour Me Olivia Ronen et son confrère Me Martin Vettes, l'objectif est clair. Ils visent l'acquittement.
Tout le long de la procédure, l'avocate regrette de nombreuses pistes qui n'ont pas été explorées. Pour elle, ce dossier a été traité par-dessus la jambe par les enquêteurs. Emile est présenté comme le coupable idéal: "Les soupçons sur lui étaient seulement justifiés par le fait que c'était le moins fou de cette chambre. Dans cette pièce, il y avait aussi un homme avec une canne, les policiers l’ont exclu d'office sans s’en expliquer. Les enquêteurs se sont tournés vers lui, plus par facilité que par déduction."
Se préparer à la dernière minute
Le procès d'Emile s'ouvre en mai 2021 devant la cour d’assises de Paris et s'étale sur trois jours. Pour elle, une plaidoirie se prononce avec "force", "conviction", et "sincérité": "Je suis obligée de ressentir viscéralement ce que je suis en train de dire. Je n'ai jamais prononcé une seule plaidoirie sans sincérité."
Même si elle a ses idées en tête, il lui est impossible d'écrire en avance sa plaidoirie. Son "inspiration jaillit" seulement quelques heures avant de prendre la parole.
"Le réquisitoire me nourrit énormément, c’est ce qui fonde l’accusation. J’ai besoin de savoir comment le parquet argumente, afin de répondre le plus précisément possible."
La veille d'une plaidoirie, Me Olivier Ronen est à la fois stressée, mais ressent aussi de l'excitation. Pour l'avocate, prendre la parole en dernier, est un atout, c'est elle qui clôt l'argumentation, et les débats. Elle ne perd pas son objectif de départ, celui de l'acquittement.
Acquitté mais un client marqué à vie
Quand Me Olivia Ronen s'avance pour plaider, l'avocate "dépose ses tripes à la barre", assure-t-elle. Après trois jours de procès, le verdict tombe. Emile est acquitté, l'homme ressort libre du tribunal. C'est une première victoire pour l'avocate. L'homme est dédommagé à hauteur de 83.000 euros sur les 177.900 euros demandés par la défense. Pour l'avocate pénaliste, cette somme est une injustice de plus pour son client. Lui, qui avait déjà été privé de liberté pendant plus de trois ans et demi.
Pourtant, son client ne sort pas indemne de cette procédure. Selon son avocate, l'homme a été très marqué par son incarcération à Fresnes. Une prison où les conditions de détention sont "infâmes", "vétustes, avec des "puces de lit et des rats".
Cette affaire l'a particulièrement touchée, et elle en tire des leçons: "J'ai senti qu'il était difficile de faire aussi bien respecter les droits d’une personne démunie que ceux d'une personne lambda."
• Un extrait de sa plaidoirie
C'est un dossier qui donne le vertige!
Où que l’on regarde on voit un manque d’investigations, des témoins qui n’ont pas été entendus, des pistes qui n’ont pas été fouillées et encore moins écartées, des suspects potentiels laissés dans la nature..
C’est vertigineux!
L’Avocat Général vous a dit que "la défense n’a jamais attiré l'attention des enquêteurs, ni du magistrat instructeur pendant l’information judiciaire sur ces pistes non exploitées".
Comme s’il était trop tard pour évoquer ces points devant vous. Mais à quoi sert l’audience alors?
Ce que l’avocat général oublie avec un tel argument, c’est que ce n’est pas à la défense d’apporter les preuves de l’innocence.
Ce n’est pas à l’avocat de la défense d’aller fermer ces fameuses portes que sont les pistes d'enquête,
Ce n’est pas à la défense d’aller vérifier ou non une hypothèse ! C’est le travail des enquêteurs et de l’accusation !
L’officier de police du 3e district de police judiciaire, service spécialisé dans les affaires criminelles, de qui on peut attendre les meilleures techniques d’investigations,
Cet officier, venu rendre compte de son enquête à la barre, a été, on a pu le remarquer, un peu vexé lorsque nous l’avons questionné, : « c’est facile de détruire le travail des enquêteurs ! » nous a-t-il dit,
L’ennui c’est que ça ne devrait pas être facile !!
On aurait dû nous donner du fil à retordre,
Il aurait dû y avoir des recherches rigoureuses, méthodiques, exhaustives !
Au lieu de ça, nous avons une enquête à trou, désordonnée, désorganisée, parcellaire, en tout point semblable à la mémoire d’Emile..
Mesdames et Messieurs, nous avons une enquête indigente pour les indigents.
Ce dossier n’intéresse pas.
Il n'y a pas de parties civiles éplorées à satisfaire,
Dans cette procédure on a affaire à des gens un peu fous, un peu vieux, un peu cabossés, un peu isolés, qui sentent mauvais et qui font des déclarations fastidieuses qu’on ne comprend pas toujours.
On en va peut-être pas se casser la tête pour ça, si?
Eh bien si, il fallait se casser la tête. On peut être sans domicile fie et avoir droit à une enquête aussi fouillée qu’un autre.
Nous sommes face à un puzzle auquel il manque des pièces,
Et c’est à partir de ça qu’on vous demande de le condamner ? D’un ramassis pareil !
7 ans ont été requis contre lui, avec un demi-aplomb.
Alors,
Monsieur le Président,
Mesdames de la Cour,
Mesdames et Messieurs les Jurés,
Je sais que votre mission est difficile,
Je sais que l’heure est grave, qu’un homme est mort et qu’un ultime hommage serait de lui rendre justice en condamnant celui qui lui a porté ces coups mortels,
Mais ce serait trahir sa mémoire que de condamner à l’aveugle,
Juste pour condamner,
sans preuve ni vraie conviction.
Est-ce que votre conscience vous permet de considérer, après ces 3 jours d’audience, après avoir pris connaissance de ce dossier gravement lacunaire et d’une accusation fragile, qu’il faut entrer en voie de condamnation pour Emile ?
C’est impossible.
Vous ne céderez pas à cette accusation superficielle,
qui en plus de vous demander une peine extrêmement sévère sur un vide factuel, Vous enrobe ça en vous disant qu’il y aura des soins pour mon client,
Une condamnation ce n’est pas un traitement, c’est une peine.