Une nounou accusée après la mort d'un nourrisson: retour sur l'affaire avec Me Julia Minkowski

L'avocate pénaliste défend les intérêts d'un couple d'Australiens dont l'enfant est mort de lésions cérébrales provoquées par le syndrome du bébé secoué - JOEL SAGET / AFP
"Le stress s'évacue avec l’adrénaline de la plaidoirie. Quand je m'arrête de plaider, mon coeur bat très fort, comme si je venais de faire un effort physique". Voilà les mots prononcés par l'avocate Julia Minkowski pour décrire ses sensations au moment d'un procès d'assises.
Dans cette affaire, celle d'une nounou accusée après la mort d'un enfant de cinq mois, l'avocate défend un couple d'Australiens, placé en garde à vue à la suite du décès de leur enfant de 5 mois. Quand ils se rendent dans son cabinet, ces trentenaires sont encore sonnés par ce qu'ils viennent de vivre, et le décès brutal de leur nourrisson. L'autopsie révèle qu'il est décédé à la suite de lésions cérébrales, et qu'il s'agit du syndrome du bébé secoué.
Plusieurs épisodes de violences
Installés depuis deux ans sur Paris, le couple décide de confier leur bambin à une nourrice. Elle s'occupe de lui depuis un peu plus de deux mois. Les parents se prennent d'affection pour cette nounou. Mais un premier drame survient. Le bébé est hospitalisé une première fois pour des vomissements. Celle qui s'occupe de ce petit garçon se montre très présente aux urgences.
Une fois sorti de l'hôpital, un autre événement se produit, et celui-ci coûtera la vie à l'enfant. Après cet épisode, la nounou continue de le garder. Mais un jour, au moment de le réveiller de sa sieste, il ne répond plus. Elle appelle les secours, mais c'est déjà trop tard. L'enfant est mort.
La police met la nourrice et le couple en garde à vue. Rapidement, les policiers relâchent les parents et se concentrent sur la nounou. Ils découvrent plusieurs épisodes de violences commis par cette femme à l'encontre de ce nourrisson. Puis, elle passe aux aveux.
"Les parents avaient confiance en la nounou. Ils étaient dans une sorte de déni, ils n’arrivaient pas à croire que celle qui les accueillait chaque matin en souriant et les avait soutenus dans leur deuil avait pu faire ça. Provoquer le syndrome du bébé secoué, on ne le fait pas par mégarde."
L'accusée est poursuivie pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" à ce bébé.
Défendre ses clients coûte que coûte
Le temps passe, et l'instruction aussi. Me Julia Minkowski reçoit une convocation, l'audience tombe en septembre 2012. Entre temps, l'avocate tombe enceinte et accouche d'un petit garçon deux mois avant le procès: "A ce moment-là, je devais être en congé maternité. Depuis plusieurs années, cette famille me faisait confiance, il était hors de question de la laisser tomber." Avec ce nouvel événement dans sa vie, elle a traité ce dossier avec un regard différent.
Pendant tout l'été, cette ténor du barreau prépare minutieusement la défense de ses clients. Malgré tout, l'avocate n'est pas sereine. Un dilemme se pose, elle ne sait pas si elle doit faire part aux jurés de son ressenti, de son expérience.
"Je pouvais désormais éprouver réellement la relation entre des parents et ceux qui gardent leurs enfants. Je ressentais dans ma chair l'attachement que l’on peut avoir pour un bébé, même s’il est tout petit, et la confiance immense qu’on donne aux personnes qui s’en occupent en notre absence "
Cette plaidoirie accapare ses pensées. Elle a peur d'être "submergée par l'émotion" et de "s'effondrer en larmes". Me Julia Minkowski ne veut pas perdre en crédibilité et rester dans son rôle d'avocate. Mais d'un autre côté, elle se demande s'il ne serait pas mieux d'expliquer aux jurés, pourquoi elle est si sensible à cette affaire: "Si je leur fais part de ma propre expérience, est ce qu'ils ne vont pas trouver ma démarche déplacée? Ou au contraire, est-ce que je vais réussir à les embarquer, afin qu'ils comprennent mieux les enjeux de ce dossier. J’ai hésité jusqu'à la dernière minute. Et finalement, j'ai senti qu'il fallait le faire."
Même si Me Julia Minkowski apporte sa touche personnelle à la plaidoirie, elle aborde aussi les côtés plus techniques de l'affaire. Elle se base sur les épisodes de violences répétés de la nounou à l'encontre de l'enfant, sur les expertises, mais aussi le rapport des médecins.
Un seul objectif, celui de la plaidoirie
La veille de sa prise de parole, l'avocate pénaliste reste tard à son cabinet, et couche ses idées sur le papier. Une fois au tribunal, elle garde en tête les parties stratégiques de sa plaidoirie.
"Je m'appuie sur le début et la fin de mes écrits. C'est plus difficile à improviser, et cela me permet d'être plus en confiance, c’est une béquille. Quand je sens que c’est la fin, je peux me rattacher à mes notes, afin d'utiliser des mots justes, posés et réfléchis."
Le procès débute. Me Julia Minkowski enfile sa robe d'avocate. Elle n'oublie pas que derrière sa robe se cache aussi une mère. Le moment de plaider arrive, l'avocate pénaliste prend la parole.
A ce moment-là, l'adrénaline prend le dessus sur le stress de la plaidoirie. Pour elle, cette prise de parole est une véritable prestation physique: "On est debout, on se déplace, on parle fort."
Un lien particulier avec ce couple d'Australiens
Son objectif principal est de transmettre aux jurés l'état d'esprit de ces parents, ou encore la confiance brisée par la nounou.
L'audience dure sur deux jours. L'accusée est condamnée à cinq ans de prison. Au regard des violences répétées sur cet enfant, c'est un verdict "clément" pour Me Julia Minkowski.
Habituée à être sous le feu des projecteurs dans des procès plus politiques, l'avocate reste incontestablement marquée par cette affaire peu médiatisée: "Certaines affaires ont une résonnance particulière par rapport à votre sensibilité, à votre état mental, ou à votre vie actuelle. Quand on enfile la robe d'avocat, ça permet aussi de prendre de la distance avec vous-même. Malgré tout, je pense souvent à mes clients."
Extrait de la plaidoirie de Me Julia Minkowski
"Mon empathie aujourd’hui avec ces parents que j’assiste n’est pas d’ordre intellectuel, elle est physique. Imaginer une seule seconde qu’on puisse m’arracher à l’euphorie de l’attachement des premiers mois me tord les tripes. Cette image qui vous marque, celle du jour où on rentre chez soi de la maternité avec son premier enfant, où on retrouve le décor de son quotidien comme si on l’avait quitté il y a 30 ans, tant cette naissance vous a déjà en quelques jours transformé, il est insupportable de la renverser. Ma cliente vous a raconté son image à elle, celle de son retour chez elle six mois après la naissance mais SANS son enfant, qui repose dans un berceau à la morgue, comme si rien n’avait existé : que faire de cette chambre spécialement aménagée, de ces jouets, de ces peluches, de la poussette et de la chaise haute qui n’ont plus d’utilité, de ces photos qu’on ne peut plus regarder ?"