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Cold Cases

Des scellés détruits ou perdus: l'angle mort des affaires non élucidées

(Photo d'illustration) Des dossiers de justice archivés.

(Photo d'illustration) Des dossiers de justice archivés. - LUDOVIC CAILLERE / AFP

Les effets personnels des victimes ou les éléments recueillis sur une scène de crime peuvent être détruits au bout de six mois. Pourtant, ils peuvent être la clé d'énigmes criminelles anciennes.

"Si on n'avait pas gardé les vêtements de ma fille, on n'aurait jamais retrouvé son assassin." C'était un dénouement inespéré pour lequel Marie-Rose Blétry s'est battue toute sa vie: la condamnation, en 2018, du meurtrier de sa fille, Christelle Blétry, tuée de 123 coups de couteau à Blanzy en 1996 par Pascal Jardin.

Dix-huit ans plus tard, en 2014, une nouvelle expertise des vêtements de la jeune femme avait conduit à la découverte de traces de sperme, permettant l'identification de l'auteur. Avec le pressentiment que la clé de l'énigme se trouvait parmi les affaires de sa fille, Marie-Rose Blétry a mené une lutte sans relâche pour que les scellés, c'est-à-dire les pièces à conviction, soient conservés dans le dossier jusqu'à sa résolution.

Car, que ce soit pour un crime ou un délit, les scellés entreposés dans les tribunaux répondent à la même règle: au bout de six mois de stockage, ils peuvent être détruits si le parquet auquel ils appartiennent en décide ainsi, que l'affaire soit résolue ou non.

Le grand "bric-à-brac" des salles de scellés

"Les salles des scellés des tribunaux ne sont pas bien entretenues, on y trouve un peu de tout, c'est un grand bric-à-brac", résume auprès de RMC Crime Me Corinne Herrmann, avocate spécialisée dans le traitement des "cold cases".

Là, l'arme d'un meurtre irrésolu sera logée à la même enseigne qu'un objet volé. Ici, les vêtements d'une victime sauvagement assassinée auront autant de risques d'être détruits qu'une saisie de drogue.

Dans la salle des scellés, on ne fait plus la distinction entre crimes et délits. Or, comme le rappelle Corinne Herrmann, "ces salles ne sont pas extensibles".

Début mars, donc, à l'occasion du premier anniversaire du Pôle dédié aux crimes sériels ou non élucidés (PCSNE) de Nanterre, les associations de familles des victimes et leurs avocats, ont demandé publiquement à ce que leurs dossiers ne soient pas mis au même plan que des délits plus mineurs et qu'ils bénéficient d'une conservation automatique, tant qu'ils ne sont pas élucidés.

"Il faut trouver un entrepôt, un endroit sain pour les entreposer jusqu'à ce que les affaires soient résolues. Je me suis toujours battue pour voir les vêtements de Christelle, pour m'assurer qu'ils n'avaient pas été détruits", explique Marie-Rose Blétry, dont l'acharnement a finalement porté ses fruits.

L'affaire Maillery, cas d'école

D'autres dossiers n'ont cependant pas eu cette chance. Certains sont même devenus des cas d'école, comme celui du meurtre de Christelle Maillery. Si un coupable, Jean-Pierre Mura, a finalement été condamné en 2015 pour avoir tué la jeune fille en 1986 au Creusot, l'idée selon laquelle l'affaire aurait pu être élucidée beaucoup plus tôt demeure dans les esprits: dans les années 1990, alors que les faits ne sont même pas prescrits, le tribunal de Châlon-sur-Saône détruit les scellés, dont un couteau abandonné sur la scène de crime par le meurtrier.

"C'est finalement grâce à des photos de ce couteau qu'on a pu le relier à ceux de Jean-Pierre Mura [en en observant l'affûtage, ndlr]. On a eu beaucoup de chance. Si on n'avait pas eu un policier talentueux, on n'aurait pas pu le confondre", explique Marie-Rose Blétry, qui a accompagné la famille Maillery en créant l'association Christelle.

L'enquêteur en question, Raphaël Nedilko, qui a résolu les affaires Maillery et Blétry, insiste sur l'importance de "dresser un historique des scellés judiciaires".

"Dans le cadre de l’affaire Blétry, des scellés expertisés en 2005 et 2007 n’avaient pas permis, avec les techniques de l’époque, de découvrir de l’ADN. Ce qui n’a pas été le cas, un peu plus tard, avec une nouvelle salve d’expertises. C’est pour ça qu’il est important, passé un certain laps de temps, de réétudier des scellés expertisés il y a un certain nombre d’années", détaille-t-il auprès de RMC Crime.

"On s'est battu pour que le fourgon de Fourniret soit conservé"

D'autant que le PCSNE se penche également sur le parcours criminel de plusieurs tueurs en série pour éventuellement y rattacher d'autres victimes. Certains scellés se sont à ce titre déjà révélés comme de potentielles mines d'information pour les enquêteurs. "On s'est battu avec le parquet de Reims pour que le fourgon de Michel Fourniret soit conservé", pointe notamment Corinne Herrmann. Celui-là même dans lequel ont été retrouvés une trentaine d'ADN non identifiés.

Si la conservation du fourgon semblait primordiale dans ce dossier, c'est que l'enquête sur les traces du tueur en série a également connu son lot de ratés. L'avocate rappelle que dans l'affaire Estelle Mouzin, un sac de croissants retrouvé non loin du lieu de l'enlèvement et appartenant à la petite fille n'avait jamais été exploité. "Fourniret aurait pu y laisser des empreintes génétiques."

Preuve de l'importance de la conservation des scellés criminels dans cette affaire, c'est un autre scellé qui permettra de mettre un point final à l'affaire, l'ADN de la petite fille ayant été retrouvé sur un matelas saisi en 2003 dans la maison de la sœur de Michel Fourniret.

L'espoir du pôle "cold cases"

En matière de conservation, seule une règle existe: les scellés qui ont révélé des traces ADN doivent être gardés pendant 40 ans. Mais à l'inverse, ceux qui n'ont jamais été exploités au cours de l'enquête ou dont l'analyse n'a rien révélé immédiatement s'exposent au risque de la destruction.

Un non-sens lorsque l'on constate que les technologies utilisées par la police scientifique sont en constante évolution, et que Corinne Herrmann attribue aux mauvais réflexes de certains juges d'instruction. "Encore aujourd'hui, certains magistrats n'ont pas la culture de la police scientifique et ne savent pas formuler de demande d'exploitation", avance l'avocate.

"Quand je vois un dossier ancien dans lequel on a des empreintes pas exploitées qui se dégradent... je crois m'étouffer!"

Si le traitement réservé jusqu'à présent aux scellés lui semble aberrant, Corinne Herrmann place aujourd'hui son espoir entre les mains du pôle de Nanterre qui, confronté aux mêmes difficultés dans certains dossiers anciens irrésolus, pourrait faire bouger les lignes. "Les juges du pôle vont finir par émettre des recommandations au gouvernement" pour que ces pièces soient mieux conservées, espère-t-elle.

Elisa Fernandez