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Cold Cases

"On est tombés des nues": ces dossiers qui retournent à l'état de cold cases après un acquittement

(Photo d'illustration) Des dossiers de justice archivés.

(Photo d'illustration) Des dossiers de justice archivés. - TOBIAS SCHWARZ / AFP

Certaines familles de victimes se heurtent à l'impossibilité de juger deux fois une personne acquittée. Parfois même alors que de nouvelles preuves incriminant celle-ci sont découvertes.

"On nous a dit qu'il n'y avait plus rien à faire. Que c'était fini." En octobre 1987, le ciel est tombé sur la tête de Boris Fauvet lorsque la cour a prononcé l'acquittement du meurtrier présumé de son frère. Faute d'éléments à charge suffisants, les jurés ont préféré ne pas condamner l'homme soupçonné tout au long de l'enquête d'avoir fait disparaître Frédéric Fauvet, vigneron de 23 ans dans la Marne.

"À l'issue du procès, notre avocat nous a dit qu'il allait bientôt sortir de détention. J'avais 22 ans, je n'y connaissais rien du tout. On est tombé des nues", raconte Boris Fauvet auprès de RMC Crime.

Le 27 décembre 1985, Frédéric Fauvet disparaît à Épernay, à une trentaine de kilomètres de Reims. Sa compagne découvre son appartement sens dessus dessous. Un tableau qui laisse à penser à une mise en scène.

Un faisceau d'indices, mais pas de preuve concrète

Dès lors, les soupçons se portent sur un homme en particulier, l'ex-conjoint de la petite amie du disparu, dont ce dernier semblait se méfier: "Frédéric avait peur de lui, il était inquiet et nous l'avait confié", explique Boris Fauvet.

Des incohérences apparaissent dans l'emploi du temps que l'individu livre à la police sur le jour de la disparition du vigneron. Dans la foulée, les enquêteurs découvrent qu'un tapis a mystérieusement disparu de son appartement. Un faisceau d'indices, mais pas de preuve concrète... Rien qui permette, selon les jurés lors du procès, de prononcer de manière certaine la culpabilité de l'accusé, qui nie toute implication.

À l'annonce de son acquittement, les proches de Frédéric Fauvet ressentent beaucoup de "haine" et un sentiment de "révolte". "On a l'impression d'être abandonnés par la justice. C'est assez violent", se souvient le frère du disparu.

"Des enterrements de première classe"

Car une fois qu'un acquittement est prononcé, il est parfois compliqué de convaincre les juges de relancer l'enquête. C'est pourtant possible si la justice a la certitude que le responsable n'a pas été arrêté et que la mauvaise personne se trouve dans le box des accusés.

Alors comment expliquer, dans certains cas, qu'une nouvelle information judiciaire ne soit pas ouverte après le procès pour chercher le réel auteur des faits?

"La justice a parfois conscience qu'on a arrêté la bonne personne, mais qu'il n'y a pas assez d'éléments contre elle. Dans ce cas, le suspect est souvent acquitté au bénéfice du doute", estime Me Corinne Herrmann, l'avocate de la famille Fauvet. D'où l'abandon pur et simple de certaines affaires non résolues.

"J'ai plusieurs dossiers dans ce cas. Ce sont des enterrements de première classe", juge l'avocate, contactée par RMC Crime. "C'est contre ça que je veux me battre. Ce sont d'authentiques cold cases parce qu'on abandonne ces dossiers."

Acquittés au bénéfice du doute

Des dossiers abandonnés... et des familles laissées sans réponse, parfois toute leur vie durant. C'est le cas d'une affaire le nom de Francis Heaulme et celui de Didier Gentil (condamné à la perpétuité pour le meurtre de Céline Jourdan en 1992), sont apparus: le meurtre de Laurent Bureau, en 1986.

Ce jeune militaire de 18 ans avait été retrouvé mort, le corps dénudé, dans un gymnase à Périgueux. En 1997, soupçonnés de l'avoir tué, le "routard du crime" et Didier Gentil sont renvoyés devant une cour d'assises. Failles dans l'enquête, absence d'un troisième suspect potentiel au procès... Au bénéfice du doute, les deux accusés sont acquittés, alors même que Francis Heaulme reconnaît les faits.

Après cette décision, les parents du jeune militaire tentent de relancer l'enquête et recueillent 12.000 signatures en faisant circuler une pétition. "C'était énorme car il n'y avait pas Internet à l'époque." Énorme, mais vain: la justice ne donnera jamais suite à leur requête, et ils mourront sans connaître la vérité sur la mort de leur fils.

De nouvelles preuves, mais pas de nouveau procès

Au-delà d'un refus des juges de reprendre ces dossiers, le droit constitue en lui-même un obstacle pour les familles. Même si de nouvelles preuves à l'encontre d'un suspect déjà acquitté émergent, un second procès ne peut pas lui être intenté. En témoigne l'affaire Nelly Haderer, jeune femme dont le corps avait été retrouvé découpé dans une décharge près de Nancy en 1987.

Jugé à plusieurs reprises pour ce meurtre, un suspect, Jacques Maire, avait finalement été innocenté définitivement en 2008, encore une fois faute de preuve matérielle. Quelques années plus tard, l'avocat des parties civiles, Me Pierre-André Babel, demande de nouvelles expertises.

Grâce aux technologies récentes utilisées par la police scientifique, l'ADN de Jacques Maire est retrouvé dans l'une des poches du jean que portait la victime lorsqu'elle a été tuée, accréditant la thèse de son implication. "On a demandé à ce qu'il soit réentendu, mais c'était impossible", détaille l'avocat auprès de RMC Crime.

Mort en 2018, Jacques Maire a emporté avec lui toute possibilité de connaître la vérité sur la mort de Nelly Haderer. "La famille est toujours dans l'attente d'une réponse, mais les investigations sont relativement complètes et on se heurte à des preuves matérielles dégradées et des témoins qui sont morts", 36 ans après le drame.

"Dans certains pays, même si un individu est acquitté, il peut être rejugé s'il y a des éléments nouveaux. Pourquoi serait-il donc choquant qu'en France les parties civiles aient le droit de demander la révision d'un procès, si cela est justifié?", estime Pierre-André Babel.

"Me libérer de cette affaire"

Dans le dossier de la disparition de Frédéric Fauvet aussi, de nouveaux éléments ont fait jour bien après l'acquittement du suspect: alors que l'avocate de la famille, Corinne Herrmann, demande de nouvelles analyses sur des scellés, de l'ADN appartenant à l'individu est découvert en 2012 sur des flûtes à champagne retrouvées chez la victime. "Jackpot", se dit alors Boris Fauvet. Sauf que, protégé par son acquittement, il ne pourra jamais être rejugé.

"J'ai pris une deuxième claque", évoque le frère du disparu. "Notre mère est morte un mois après, elle ne l'a pas supporté."

Quels recours reste-t-il? Trouver à nouveau un suspect, parvenir à poursuivre la personne acquittée pour d'autres motifs, ou encore chercher d'éventuels complices. C'est vers cette dernière option que se dirige aujourd'hui la nouvelle juge d'instruction dans le dossier Frédéric Fauvet. "On espère apprendre la vérité grâce à d'autres personnes", lance Boris Fauvet.

À présent, 37 ans après la disparition de son frère, celui-ci n'est plus porté par un désir de vengeance, mais par un besoin urgent de "tourner la page". "Aujourd'hui, la personne acquittée a environ 72 ans. Je ne pourrai pas lui faire autant de mal que ce qu'il nous a fait. Je ne veux pas me venger, je veux juste retrouver mon frère pour l'enterrer décemment. Me libérer de cette affaire."

Elisa Fernandez