"C'est du temps de perdu": quand de prétendus médiums polluent les enquêtes criminelles

Jonathan Oliver, le père de Cécile Vallin, lors des investigations pour retrouver sa fille - AFP
Équipés de pendule, de carte ou faisant simplement appel à leur "faculté divinatoire", certains "médiums" n'hésitent pas à s'immiscer dans les enquêtes criminelles. Et plus particulièrement dans les affaires non élucidées et les disparitions d'enfants, d'autant plus si celles-ci sont médiatisées.
Ces pseudo-voyants contactent régulièrement avocats, enquêteurs ou familles de victimes, promettant de leur révéler des informations cruciales. En désespoir de cause, certains se laissent convaincre par leurs prétendus "pouvoirs", dans l'espoir de connaître enfin la vérité sur la mort de leur proche.
Dans l'affaire de la petite Maëlys, pour laquelle Nordahl Lelandais a été condamné, Jacques Dallest, ancien juge d'instruction et procureur général de Grenoble, assure que des informations données par des médiums ont été vérifiées par les forces de l'ordre.
"Avant qu'on ne découvre son corps, certains disaient l'avoir vu aux quatre coins de France et affirmaient savoir où elle se trouvait".
Des informations que lui affirme n'avoir jamais prises au sérieux. Tout au long de sa carrière, le magistrat assure n'avoir jamais fait appel à ces prétendus "devins". "J'ai toujours été contre, car je considère que ces gens-là n'ont rien à faire dans une enquête judiciaire", explique-t-il.
"Je ne comprends pas les enquêteurs qui font appel à eux. Ces personnes n'ont jamais permis, sauf par un pur hasard, de résoudre une affaire."
"C'est de la pollution pure et simple"
Car pour lui, les contributions de ces autoproclamés médiums ne relèvent pas d'un don divinatoire mais bien de simples déductions. "Ce n'est pas compliqué que de dire que la personne disparue est enterrée, ou se trouve dans un fossé ou une forêt, tout le monde peut le faire", estime Jacques Dallest. "Si ça avait la moindre valeur, cela ferait longtemps qu'on aurait fait appel à eux."
Celui qui a passé une grande partie de sa vie à résoudre des enquêtes criminelles insiste sur la démarche scientifique des investigations menées par les brigades criminelles et du professionnalisme des experts avec qui elles collaborent, ne laissant aucune place pour le domaine de l'irrationnel.
"Pour moi, c'est de la pollution pure et simple", juge-t-il.
Lors d'une disparition, notamment, le temps est compté et les déclarations des "médiums" peuvent mener à des recherches inutiles. "C'est du temps de perdu et le temps est très important dans la recherche judiciaire", insiste Jacques Dallest. "Tant pis si la famille croit en leur intérêt, on ne peut pas se permettre de vérifier leurs affirmations."
"Quand les gens sont en souffrance, ils sont prêts à tout"
Ces prétendues intuitions peuvent également être dangereuses pour les proches des victimes. "Quand les gens sont en souffrance, ils sont prêts à tout", encore plus dans les affaires non élucidées, note le magistrat. "Ça peut être tentant de faire appel à ces gens-là quand toutes les pistes ont été envisagées."
C'est le cas des parents de Cécile Vallin, disparue le 8 juin 1997 en Savoie. Très rapidement, sa mère s'est mise en relation avec un médium qui affirmait savoir où se trouvait sa fille. Sa technique était de positionner un pendule au-dessus d'une carte, grâce auquel il disait localiser Cécile.
Un mois après la disparition de Cécile, Jonathan Oliver, son père, a traversé la France pour se rendre à La Rochelle, après que le médium leur a indiqué que la jeune fille se trouvait là-bas. "Cela n'a rien donné", confie-t-il à RMC Crime.
Si lui garde la tête froide face aux "visions" du médium, il explique s'y être rendu pour faire plaisir à son ex-femme. "Je n'étais pas surpris que cela ne mène à rien, j'ai fait ce geste pour sa mère qui espérait beaucoup de lui. Elle est d'ailleurs restée longtemps en contact avec lui."
"Il n'y a rien de pire que ne pas savoir"
Une réaction classique, comme l'explique Marjorie Sueur, psychologue clinicienne à la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
"Pour les familles, il n'y a rien de pire que de ne pas savoir. Ils se raccrochent à toutes les bribes d'informations qu'ils peuvent avoir."
Mais cela n'est pas sans répercussions. "Ces médiums ne mesurent pas l'impact de leur parole", estime-t-elle. "Ils recréent l'espoir en eux, mais cela peut-être très dangereux, car ça conduit à la détresse psychologique, à la dépression, voir au suicide."
Après cet épisode à La Rochelle, Jonathan Oliver affirme avoir été contacté par d'autres médiums qui souhaitaient faire d'autres "révélations". Il raconte avoir prévenu les enquêteurs des affirmations d'une femme dont il trouvait les visions "plausibles". "Ils ont vérifié ces informations, mais cela n'a rien donné", explique-t-il.
C'était pour lui un nouvel espoir de trouver une porte de sortie dans la disparition de sa fille. "Pour ces familles, toutes les portes de sortie sont bonnes à prendre", conclut la psychologue.